Le Villaret : 25 ans de pure bistronomie

Olivier Gaslain en cuisine.

Il y a ceux qui connaissent et puis il y a les autres. Le Villaret fait partie des adresses confidentielles parisiennes sans site internet dédié, sans communication, sans pub ni de photos de chef à tous les étages. À vrai dire, parfois, on se demande même si le lieu existe encore tant il souhaite être discret ou éviter les foodistas effrontés, préférant les habitués. À peine trouve-t-on en cherchant sur la toile une piètre page Facebook où défilent des publications d’inconnus. Ici, si les intimes entourent parfois sans doute les épaules du chef pour un ultime selfie de fin de soirée, on n’en trouve nulle trace sur la toile ou alors si bien cachée… Seuls apparaissent sur la page dédiée quelques touristes aux yeux écarquillés comme des enfants à Noël, venus de loin pour la plupart : Japon, USA ou Israël. Là, une vraie petite étude sociologique en soi. Ici, une pépite en dehors des sentiers battus à la mode qui, comme le dirait Jean-François Piège reprenant la phraséologie du Guide rouge « vaut bien le voyage ».

Décédé en 2006, Michel Picquart fut d’après ceux qui le rencontrèrent un « déluré » et une sorte de météorite. En dehors des sentiers battus, on peut dire qu’il fut historiquement un des créateurs de la bistronomie parisienne, repreneur de la maison Astier en 1974, une institution de quartier fondée en 1956 située à deux pas de notre adresse. C’est lui qui créée Le Villaret en juin 1992, il y a vingt-cinq ans tout juste. C’est encore lui qui remet à l’honneur au moment de l’envol de la Nouvelle cuisine le beau, le bon et pas trop cher, le menu-carte et les vins à couper le souffle. « Le goût d’hier, mais avec la manière de l’époque » comme l’exprime si bien le grand connaisseur des choses du ventre Roger Feuilly. Tout ce que l’on aime…

Le temps des autodidactes

Aux commandes depuis 21 ans le chef normand du Villaret qui n’est pas sans rappeler l’autre maître normand des casseroles, qui plus est voisin, Rodolphe Paquin, Olivier Gaslain témoigne :

« Avec Astier, Michel Picquart a vraiment créé la bistronomie parisienne. Je trouve qu’aujourd’hui celle-ci est devenue autre chose. Quand elle a été inventée, cette cuisine riche et gourmande, bien préparée, était une cuisine de grand restaurant en plus simple, avec de vrais plats. J’ai connu comme d’autres les restaurants des années 1980 où il n’y avait plus grand chose à manger dans l’assiette… Avec Michel Picquart, c’était pile-poil l’inverse. La générosité avant tout ! Je suis arrivé à l’âge de 21 ans au Villaret et j’ai été formé en autodidacte à cette cuisine des origines de la bistronomie. Michel Picquart m’a donné beaucoup de conseils. Je propose encore aujourd’hui à ma carte des recettes qu’il m’a transmises. Je fais d’abord une cuisine de marché. Encore aujourd’hui, j’achète mes viandes en carcasse et je les débite à l’ancienne. »

La première fois que l’on pousse la porte du Villaret, on a un peu l’impression de rentrer par effraction, comme dans de vrais bouchons lyonnais. On se demande si l’on ne s’est pas trompé, tant l’atmosphère paraît nimbée des connaisseurs de la première heure, de ceux qui y viennent et y reviennent souvent, presque en religiosité. Ce n’est pas froid, mais c’est « concentré », comme seuls savent le faire les vrais gastronomes. Comme tout lieu passablement saint, les endroits idoines doivent transmettre un message. Là, cela se passe par l’assiette – même si la décoration a été entièrement repensée en 2013 avec une partie de ses dives bouteilles (environ 1000 références dont la moitié en vin de Bourgogne) visibles de la salle dans ses caves tempérées transparentes. Les allers et venues du chef ponctuent le repas entre son petit réduit ouvert par une fenêtre d’aluminium sur ses casseroles de cuivre sagement alignées et la salle marquée de ci de là par quelques copains en goguette. Y’a de la joie contenue dans l’air. Cela se sent et se perçoit par le nez, les oreilles et surtout, par cette mécanique huilée propre aux belles adresses. Personne ne viendra trop vous demander au Villaret si tout se passe bien, si la cuisson était à votre goût et encore moins n’essayera de situer vos allergies. Il y a ici comme un voyage en arrière vers les grandes heures de la cuisine des années 1980 et pour une fois, le menu dégustation n’est pas imposé ! À la carte, un vaste choix presque problématique tant on hésite longuement est offert au convive, de l’entrée au dessert (surtout les desserts d’ailleurs !). Une bistronomie des origines qu’il faut avoir au moins goûté une fois dans sa vie comme à Chez Michel, en plus intime peut-être. S’il n’y a pas trop de liens entoilés, les liens de la table sont bien présents et reflètent une générosité culinaire hors pair.

Une table bistrotière

En amuse-bouche, la maison offre d’abord pour se nettoyer le palais une délicieuse crème de brocolis, poireaux, pommes de terre, croûtons et jambon jabugo.

En entrée et sur une curieuse assiette sculpturale daliesque, le Pressé de maquereaux / quenelle de betterave / tomates confites donne le t(h)on. La gelée carotte-persil de la terrine complétée par le coulis d’oseille en trait sur l’assiette avec son acidité si particulière s’allie superbement avec le poisson en terrine cuit à la perfection, ni trop sec ni trop ferme, et décoré de quelques feuilles de mouron des oiseaux. La texture des betteraves coupées en lanières et présentées en quenelle est magnifique. La meilleure terrine de maquereaux goûtée depuis des années…

Dans la gamme des classiques revisité, le Pot-au-feu de cochon, joues de porc et groin mis en saumure, petit-salé bien lardé comme on n’en trouve plus à Paris et ses petits légumes (salsifis, carottes, navets, pommes de terre et panais), bouillon monté au beurre de cerfeuil est une grande et belle surprise. La température est idéale et le plat vaut largement dans sa réalisation les (autres) classiques de La Bourse et la Vie du médiatique et très actuel Daniel Rose. Un plat avec beaucoup de sincérité. On en redemande…

Le Rouget barbet en peau croustillante / embeurrée de poireau / fumet de poisson joue la carte de l’originalité. Les poireaux émincés sont frits et amènent du croquant en bouche. Le poisson nacré à la peau parfumée et craquante repose calmement sur un fumet de poissons « maison » très parfumé (au safran ?). Une part généreuse pour les gourmands en mal d’air, d’iode et de vacances.

 

En matière de desserts, Le Villaret est sans doute une des adresses bistrotières les plus gourmandes de la capitale. Les amoureux des plats simples et bons de l’enfance peuvent se réjouir avec ce délicieux Pain perdu / poire Comice / rhum (au beurre, Olivier Gaslain est Normand que diable !). Vu les quantités, ce dessert est presque un plat en soi. Il faut donc prévoir de la place.

Comme autre dessert monumental, voici une Mousse de pain d’épices / figues rôties / glace au fromage blanc agrémentée de ses tuiles au beurre noisette. Voilà en ce mois de novembre, mois de notre dégustation, une parfaite maîtrise des accords gourmands. Un sans faute gustatif de A à Z et une grande noblesse des assiettes, à la fois simples et sophistiquées. Pour finir cette étonnante balade, je vous recommande le café accompagné de ses mignardises sucrées. Cette fois, Olivier Gaslain s’était entiché d’une petite guimauve citron maison tout simplement divine… Le Villaret constitue une bien belle adresse qui, comme vous vous en doutez, n’est vraiment réservée qu’aux vrais gourmands. Qu’on se le dise !


Le Villaret

13, rue Ternaux

75011 Paris Tél. : (33) 1 43 57 89 76

Ouvert midi et soir du lundi au vendredi et le samedi de 19h30 à 23h30 (dernier service). Formule déjeuner entre 22 et 27 €. Soir et midi, service à la carte entre 50 et 60 €. Réservation conseillée.

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