Le Grand Véfour vaut bien une terrasse

Au loin et masqué, Guy Martin visite toujours ses clients, en salle ou… pour la première fois depuis trente ans… en terrasse improvisée.

Gong ! Plac ! Cela résonne et claque comme dans un film américain… Ma dernière chronique de restaurant date du 18 juin 2019, la très belle affaire. J’ai dû penser à peu près cent fois arrêter tout le toutim depuis (ie : Le cœur au ventre). Presque deux longues années sans aucun restau et sans presque rien d’autres sujets… Pendant ce temp-là, les affreux et stupides messages des chargées de com et attachés de presse pour du marketing niveau zéro, comme si de rien n’était, continuaient leurs ritournelles comme si nous vivions une époque normale et absolument banale, celle du business dans aucune idée sur rien… Ah ! Mais ! Il va bien falloir un jour que les imbéciles arrêtent de nous faire chier quand même. Jamais je n’aurais imaginé que le business se foutait finalement des gens, quoi qu’un peu quand même.  La liberté des grands jours pour dire ce que je ressens et ce que je pense sur les restaurants de la capitale et d’ailleurs. C’est maintenant et c’est ici : hic et nunc. Nous sommes donc ici au Grand Véfour à Paris. Le premier restaurant historique resté en l’état ou presque de tous les temps (c’est donc un symbole fort en ce moment) dirigé par mon ami le chef Guy Martin. La liberté de manger ce que l’on croit. La liberté de parler, de goûter, de vivre  au milieu d’un monde rempli d’un fatras d’inepties, de fadaises et du grand n’importe quoi. Au garde-à-vous pour reprendre du service comme un bon soldat que je ne suis pas (mais que j’ai été il y a longtemps). On s’en fout ! La liberté de recommencer à dire juste un peu. Un peu pour dire. Un peu pour manger. Un peu pour commencer à réfléchir à ce que nous sommes aujourd’hui et à ce que nous étions avant. Comme parler à un malade après une longue maladie. Comme commencer à parler tout court. C’est difficile bien sûr. C’est même presque impossible, car cela ne ressort pas du marketing, mais de l’humain. De moi en fait.

Cela est un peu un cri du cœur prometteur, quoique un peu rouillé après un an de rien – j’entends ce que vous savez par rapport aux restaurants, à mes chroniques, ou de ce qu’il en reste des deux – et de ce que l’on peut, je l’espère, donner comme appel somme toute visionnaire et à la fois paradoxal pour tous les autres. Aujourd’hui, je le dis, je ne sais plus ce qu’est un restaurant et il faudra bien que je le sache assez vite. C’est une affaire assez vitale pour moi, non pas pour en vivre – je n’en vis pas – mais pour exister tout simplement. Il était assez normal, comme par un stupide réflexe d’historien des restaurants que je suis, de réagir vite en réservant une place au Grand Véfour en ce mercredi 26 mai – 8 jours après la grande débandade ectoplasmique nationale des terrasses ouvertes sous la pluie de ce mois de mai pourri.

Oui. Il était bien prévisible d’aller directement, sans doute pour se rassurer un peu en ce qui me concerne, au plus vieux restaurant existant au monde depuis… 1784, soit cinq ans avant la Révolution française  (oui ! J’insiste gravement sur ces mots très simples, messieurs, dames), au moment où son chef décidait de rouvrir… Cette image du plus ancien restaurant de la planète rouvrant par un des plus talentueux chef de sa génération et ouvrant si soudainement ses alcôves du grand-manger, du garde-manger, du manger-au-Palais-Royal-en-toute-simplicité, comme dans un brouillard gastronomique nébuleux improbable de ce qui allait arriver après, dans toutes ces belles maisons, me laissa un temps perplexe et même anxieux. J’avais eu la chance insigne d’être invité à déjeuner un jour ici par le chef, il y a plus de dix ans, contemplant d’un œil médusé les beaux salons dorés peints en 1834, les plus anciens aussi dans l’art du décorum restaurant de l’Europe toute entière. Une simple terrasse me laissa bien perplexe sur le moment. Une terrasse. Enfin… Quoi… Remis de mes émotions philosophico-historiques, je ne me lassais pas de caresser et de continuer encore à gigoter dans ma tête cette idée improbable de manger au Grand Véfour à midi pour seulement 57 euros de l’entrée au dessert ! Argh. Combien de fois suis-je passé contempler la carte qui avoisinait gentiment les… 250 euros au compteur si je ne me trompe ? Je léchais les menus comme on peut lécher des vitres.

Il y a deux, trois, quatre idées folles à la fois dont celle-ci : le plus vieux restaurant de la planète, le plus vieux restaurant d’Europe,  le plus ancien restaurant de France  rouvre, à des tarifs si raisonnables en terrasse. Comment cela est-t-il possible ? Quant à mon ami le chef Guy Martin, aussi atypique que cette période, que puis-je en dire ? Un battant toujours si affable et prévenant, si sensible. Un des plus grands comme une comète qui traverse le ciel de la gastronomie : il entre au Grand Véfour, l’un des plus grands restaurants parisiens donc, en 1991 et n’en sortira plus jusqu’à ce jour. Une vraie grotte. Un vrai refuge d’ermite qui prêche cependant la bonne parole tout autour de lui, met des vidéos de lui en ligne chez lui – dans sa grotte – en train de cuisiner des choses simples. Trente ans et plus aucune étoile Michelin au compteur… sans aucun problème. La liberté enfin finalement ?

Au semainier (photos ci-dessous avec quelques plats à la carte) du Grand Véfour en ce 26 mai, je retiendrai l’énorme service servi dans des conditions de froid et d’humidité exceptionnelles en cette saison pour tenir au chaud une assiette, le rapport qualité-prix incroyable et la justesse des proportions, la gourmandise partout, avec une cuisine juste et généreuse, teintée de nostalgie, avec un poivre de revenez-y. Au prix de 57 euros ici, ceux qui ne sont pas contents peuvent toujours se rhabiller, même ceusses qui ont gardé ce jour-là leurs manteaux en mai, sont venus avec leur chien-chien et qui, comble de l’horreur à côté de moi, n’ont pas fini leur fraisier croyant être à la cantine. Les cons.

Bouillon d’artichauts relevé au wasabi, œuf poché (à la carte).

Carottes en salade rehaussées à la sauge et zestes d’orange, raisins blonds et noix de cajou.

Cuisse de poulet fermier, sauté basquaise.

Poitrine de porc laquée, sucrine croquante (à la carte).

Fondant chocolat, sorbet cacao.

Le fraisier (à la carte).


Grand Véfour

17, rue de Beaujolais

75001 Paris

Tél. : (33) 1 42 96 56 27

Ouvert du lundi au dimanche non-stop.

Menus  » semainier  » au déjeuner entre 45 € (entrée-plat ou plat-dessert) et 57 € (entrée-plat-dessert).

 

 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.