Fondé en 2008, l’Agapé est le premier des trois restaurants de Laurent Lapaire et Olivier Le Franc avant l’Agapé bis (le bistrot) et l’Agapé Substance (l’atelier créatif ouvert en 2011). Découvreur de talents et faiseur de tendances, Laurent Lapaire a d’abord été maître d’hôtel pendant dix ans à l’Arpège chez notre ami Alain Passard, autre dénicheur et père de toute une descendance de jeunes chefs façon « nouvelle vague ». Car cela se passe d’abord en famille, comme on le verra, en enchaînant très vite les générations…
À l’Agapé, l’exceptionnel Bertrand Grébault fera ses premières armes, avant de fonder son désormais célébrissime Septime. Faut-il rappeler qu’à l’Agapé Substance cette fois, ce sera David Toutain qui lancera la machine jusqu’en décembre 2012 ? Dans ces conditions, inutile de dire que l’Agapé est bien naturellement aujourd’hui un de ces lieux un peu mythiques du Tout-Paris gastronomique, presque une halte obligée, d’ailleurs étonnamment ouverte cet été au moment de notre dégustation.
Après Bertrand Grébault, qui décroche le premier macaron* (toujours en place) seulement un an après son lancement, Guillaume Bracaval – parti grandir depuis à Tokyo à la maison Troigros, et Yohann Lemmonier – un ancien de la Bastide Odéon de notre ami Gilles Ajuelos !, c’est au tour du jeune chef trentenaire Toshitaka Omiya de défendre les honneurs de la maison depuis 2012, son premier poste en tant que chef à part entière. Leur point commun : ils sont tous passés un jour ou l’autre par les cuisines d’Alain Passard, suivant la formule « Il est passardé par ici, il repassardera par là »… Hormis l’Arpège, Toshitaka a également fréquenté de belles maisons : l’Astor, le Relais d’Auteuil, mais aussi à l’époque et l’on s’en rappelle, le V du temps de Philippe Legendre, et bien sûr David Toutain officiant à l’Agapé Substance. De quoi nourrir l’imagination d’une assiette !
Après une crème de chou-fleur à la moutarde servie en amuse-bouche avec quelques gougères, passons aux choses sérieuses ! Grand classique de la maison à la carte depuis l’arrivée de Toshitaka Omiya, la Noix de veau fumée au bois de hêtre, burrata au miel, feuilles de câprier, grosses câpres émincées est une vraie star, très fine en bouche. La présentation est nette et précise, la texture du veau splendide en bouche.
Ces toutes simples Tomates anciennes d’Herblaye sont subtilement accompagnées d’un granité de livèche d’un vert profond servi à la minute dans l’assiette, avec une tuile de parmesan, amandes fraîches et crème d’amandes. Frais et joyeux, du Passard autrement, avec un peu d’Anton ?!
Peut-être un brin acide (à la manière nippone, cela prépare néanmoins la bouche pour la suite), le Tourteau, pomme Granny Smith au citron vert, purée d’avocat, huile de noisette et coriandre fraîche est peut-être un peu léger dans l’assiette. Mais quand on connaît le travail de préparation du tourteau impeccable, on se tait.
Voici parmi les classiques entre les classiques l’Huître chaude « Perle blanche de Normandie » juste pochée, écume au fenouil et fenouil croquant. Ça on aime, et on connaît autrement. Superbe et de cuisson parfaite sur son lit de gros sel.
Souvent dénigré, le Merlu de ligne, haricots verts est ici complètement « réveillé » par des abricots confits émincés, discrets mais efficaces en bouche, mais surtout par une troublante écume de fleur d’oranger… Une invention et une réelle trouvaille qui marquent pour longtemps le palais et les papilles !
Classique cette fois encore, le Filet de cannette de Vendée, jeune maïs au cumin, feuille de chou, jus de viande infusé au café est lui aussi un régal. La qualité du filet de canette est tout simplement époustouflante et le jeune épis de maïs très parfumé, en parfaite alliance avec le cumin. J’ai par contre complètement zappé l’infusion au café, comme souvent…
Après un comté quatre ans d’âge, presque un whisky de fromage affiné à cœur et présenté en fins copeaux pour mieux dégager les arômes, deux sorbets « maison » cerise griotte et orange sanguine rafraichissant la bouche, nous en voici aux desserts préparés par Rikako Kobayashi, un autre talent du pays du Soleil Levant côté pâtisserie. L’entremet à la mangue, biscuit Joconde, compotée de fruit mousseux, mascarpone, gelée passion et sorbet au fromage blanc a de la classe et en impose. Signé assurément !
Pour conclure ce déjeuner étoilé, comme nous le soulignions dans le titre, avec cette assurance et ce classicisme revisité, ses valeurs sûres et franches, il est clair que Toshitaka Omiya ira assez loin… comme ses prédécesseurs ? Nous ne pouvons que lui souhaiter bon vent et bonne chance ! Avec Kei et Daï Shinosuka, deux autres chefs japonais installés à Paris, je mettrais personnellement une des meilleures notes dans la série.
51, rue Jouffroy-d’Abbans
75017 Paris Tél. : (33) 1 42 27 20 18
Déjeuner de saison (entrée, plat et dessert) à 39 €, Menu « Agapé » comportant 5 saveurs choisies par le chef (ce fut notre choix ce midi-là) à 99 € ou Menu « carte blanche » à 129 € (sans le vin).