De la tangibilité du goût

Evaristo Baschenis, Garçon avec une corbeille de pains (entre 1655 et 1665), coll. part.

Il me revient une envie d’écrire.

Plus j’avance, plus j’expérimente, plus j’apprends, plus je sais que le goût en cuisine et ailleurs est affaire d’expérience. Prenant en photos une recette prochaine à paraître ici-même dans quelques jours – une terrine de queue de bœuf aux poireaux signée de mon ami Rodolphe Paquin -, il me prend à réfléchir sur la tangibilité du goût. Recevant pas moins d’une centaine de mails professionnels par jour, tous signés par de petites et grandes marques, avec beaucoup de propositions d’articles, et me retrouvant devant mes fourneaux ce soir, je vois à quel point un grand nombre de journalistes, de spécialistes, de professionnels de ce petit monde, d’universitaires et pratiquement tous les communicants grands et petits sont dénués d’une des plus grandes qualités : la tangibilité, en d’autres termes, ce qui peut être touché ou ce qui touche… Il y a une telle abstraction des gestes du quotidien, une telle fatuité du quotidien sans recherche du plaisir rare et je dirais presque du plaisir orgasmique de faire les choses pour toucher le maximum de personnes sans rentrer dans les autoroutes des plaisirs simples et du marketing orthonormé.

Il pourrait s’agir en ce qui me concerne de solipsisme, et cela serait assez vrai.

Je pense que la cuisine, avec d’autres plaisirs du quotidien, touche tout le monde. Le plaisir ne répond qu’à soi. Il faut donc toucher et voir de près les choses pour comprendre, d’où le titre de cette brève de comptoir. En cuisine comme ailleurs, il faut faire beaucoup pour comprendre un peu. Cela requiert, comme ailleurs répétais-je beaucoup d’effort. Beaucoup en parlent, peu le font. Et je reste bien tranquille dans mes propos ce soir sur ce qu’est la cuisine, le plaisir et la culture d’être bien. Jamais aucun(e) abruti(e) de la com’ ne réussira à changer ce que nous sommes vraiment (je reste encore optimiste). Pourtant, il faut bien reconnaître que ces circuits courts et totalement dénués de sensibilité – sans aucune touche(s) – marchent encore, car ils reposent sur le nombre et donc la quantité, dans un havre de quiétude de bon aloi.

Je voudrais aussi parler de qualité (mot qui reste somme toute inquantifiable). En cuisine, la qualité repose sur les courses, premier des actes du mangeur, et l’imagination et/ou la culture culinaire, sans parler de l’éducation. Qui fait ses courses en dehors du supermarché ? Depuis des années à Paris, je vois vieillir la clientèle des marchés de rue à en être dégoûté. Je comprends aussi et surtout que les jeunes ne cuisinent plus et cela m’effraie.  Je vois le gouffre des générations.

Peut-être ai-je tort de parler à hue et à dia de tout cela. Voilà presque dix ans que j’écris là-dessus. Combien de changements a-t-on vu ? Des centaines, des milliers de comportements (à Paris préciserai-je) qui n’ont plus aucune retenue pour leur fatuité, leur manque total de culture et de connaissances pour le goût (et je ne parle pas de cuisine). Voilà pourquoi je me suis désolidarisé de mes confrères journalistes (je n’ai jamais vraiment été journaliste en fait) qui ont compris depuis bien longtemps où la balance politique penchait. Voilà pourquoi, je suis revenu pour expliquer le tangible. Et c’est juste le début… Un livre là-dessus sans pathos ?

Rien de tel que la tangibilité des choses donc.

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