À moi de vous souhaiter ici via cette simple recette une belle année, avec toutes mes belles pensées pour mes nombreux amis restaurateurs dans la tourmente.
C’était un 23 avril de l’année 2011, jour de mon anniversaire, et je venais d’avoir tout juste 42 ans. J’étais en tournée à Minorque avec mon groupe de jazz » Five in Orbit » pour un concert mémorable et nous nous échappions un peu dans la campagne pour nous réjouir de cette petite île si incroyable de l’archipel des Baléares. Par un total hasard, nous nous retrouvâmes au détour d’un chemin devant une très belle falaise de calcaire inondée de lumière au pied de laquelle avaient poussé quelques orangers (voir photo ci-dessus)… Certaines branches portaient encore des fleurs et d’autres étaient lourdement chargées de fruits que nous ne tardâmes pas à goûter. Oranges amères ! Immangeables donc… Nous étions déçus, mais je n’ai jamais oublié leur parfum inimitable. Naranja en espagnol, Arancia en italien, l’orange amère vient de loin – de Chine précisément, via la culture et le mot arabe نارنج si présente en Italie et Espagne du sud. On peut dire que l’orange bigarade (ou orange amère) est la première des oranges, la plus originale, la plus belle aussi sans doute, car la plus authentique. Elle a ce côté revêche qui me plaît tant, car quoi faire d’autre avec une amertume si forte que… des confitures ? Ici, l’amertume et le sucré feront bon ménage, dans une alliance de ses contraires, un peu comme le Ying et le Yang cher aux Chinois.
Venons-en à la recette cette fois.
S’il n’est pas facile dans nos contrées froides de se procurer des oranges amères, nous avons la chance à Paris et dans les grandes villes d’avoir quelques distributeurs à disposition. Les agrumes sont ici sur ce site les invités d’honneur on peut le dire… Il faut néanmoins avoir l’œil et le bon. Quand la chance se donne, il ne faut donc pas se priver et dévaliser le rayon en emportant quelques kilos sous le bras, car cette marmelade vaut bien son pesant d’or-ange(s).
Plutôt que de me ruer vers les recettes parfois improbables de nos chers blogueurs, j’ai préféré cette fois encore me tourner vers des valeurs sûres, en l’occurrence l’ouvrage indémodable de Pellegrino Artusi (1820-1911) intitulé en français « La science en cuisine et l’art de bien manger », l’ouvrage de référence en Italie depuis cent trente années, le croiriez-vous ? Cet ouvrage est un trésor qui ne demande qu’à être déterré. À la page 550 de l’édition française de 2016 chez Actes Sud, nous trouvons en effet une recette toute simple qui s’effectue en trois jours… La voici. Dans mon cas, j’ai eu la chance de trouver des oranges amères bio de Sicile.
Ingrédients
- 3 kg d’oranges amères bio (ou le poids correspondant à vos possibilités)
- 1 citron bio
- 3,7 kg de sucre cristal ou semoule
Préparation
J’espère satisfaire aussi ceux qui veulent savoir comment on prépare la confiture de bigarades, dont le goût est si amer.
Faites bouillir les oranges amères dans l’eau jusqu’à ce que vous puissiez les transpercer sans peine avec une pique en bois. Retirez-les de l’eau bouillante et plongez-les dans de l’eau froide où vous les laisserez deux jours, en changeant l’eau fréquemment. Coupez-les ensuite comme les oranges de la recette précédente [c’est-à-dire en moitiés, en quarts, puis en zestes de 5 mm d’épaisseur], en les débarrassant des peaux blanches et des pépins. Pesez ensuite les fruits et mettez-les sur le feu sans eau, avec 150 g de sucre pour 100 g de fruits [j’ai opté perso pour réduire un peu le sucre pour 130 g pour 100 g de fruits préparés en enlevant les peaux blanches et les pépins, ce qui marche très bien, d’où les 3,7 kg de sucre pour 3 kg d’oranges au départ. J’ai intégré pour ma part aussi à ce moment-là les zeste du citron à cru, ce qui amène un petit parfum en plus pas négligeable du tout].
Faites bouillir à feu doux, en veillant à ce que le sirop n’épaississe pas trop, sinon les oranges amères durcissent.
Ce dernier point est très important ! Comme toujours avec les confitures, il faut du temps et de la patience, et surtout, un feu très doux pour que les fruits rendent le meilleur d’eux-mêmes…
Mettre en pot très chaud. Cela est parfait avec un bon fromage blanc, sur des tartines grillées, dans un cake, avec – pourquoi pas ? – une volaille pochée et grillée ou un magret de canard rôti. Cela est une base, c’est-à-dire que cette recette peut très bien se consommer seule ou rentrer dans d’autres préparations selon vos envies. N’est-ce pas cela la cuisine ?
Pellegrino Artusi, La science en cuisine et l’art de bien manger, éditions Actes Sud, 631 pages.
Parution : 2016