Il y a des inspirations subites, en réaction. Contre les centaines de mails univoques, sans discernement, sans aucune voie de polémiques intrinsèques, d’articles sur ce que s’alimenter veut dire réellement aujourd’hui écrits par de faux-vrais gourous, de vraies entreprises derrière, avec de vrais canulars et une économie sourde qui ne dit pas son nom bien dérangeante. S’alimenter ? Aurions-nous imaginé il y a dix ans parler d’alimentation et non pas de cuisine ou de gastronomie ou d’art de vivre ? Sommes-nous tous devenus des animaux ? De sombres bêtes ? Descendus si bas, même si certains œuvrent sans cesse pour le bien manger, dont de nombreux producteurs courageux ou insensés, comme l’on voudra. Trop de morale, de marketing, n’ont jamais rimé avec une bonne communication. Il y a de nouveaux marchés, mais hormis une méconnaissance croissante des produits par les consommateurs (ô le vilain mot !), ce que je constate toutes les semaines dans mes marchés préférés parisiens et depuis plusieurs années, il y a surtout une croissance exponentielle du packaging et du marketing qui ne dit rien de bon aux gastronomes que nous sommes (moi et vous peut-être). Cela fait au moins dix ans que je m’exerce sans comprendre les tenants et aboutissants de la grande bouffe, qu’elle soit industrielle, sous l’hégémonie des lobbies actuels bio ou écolos de bon aloi, car cela est bien un autre market comme le reste, sur lesquels beaucoup surfent en ce moment, notamment d’éminents journalistes et de somptueuses plumes dans de très encensés quotidiens. Nous sommes effectivement à la croisée des chemins, nous le savons tellement, et la planète toute entière de plus de 7,5 milliards de mangeurs quotidiens, ce qui représente une ressource énorme et inestimable ici-bas, le sait quelque part aussi et plus que jamais. Manger n’est pas (plus) rien : autrefois, et il n’y a pas si longtemps, l’on mangeait pour vivre, ce qui est encore si malheureusement vrai dans de trop nombreuses zones de la planète. Aujourd’hui, dans les pays occidentaux dont les États-Unis, nantis que nous sommes, nous Français et quelque part encore Européens, l’on ne mange plus que pour mourir, un jour je crois.
Qu’est devenue la gastronomie ?
Plus le temps passe, plus les consommateurs que nous sommes tous, dont la majorité des Français, s’éloignent de leurs assiettes, et surtout, ne cuisinent plus ou presque plus. Leurs assiettes viennent donc d’ailleurs, en l’occurrence de l’industrie agro-alimentaire ou des autres sources de prêt-à-manger. Je le répète : les Français ne cuisinent plus, même si, selon les dernières stats, ils aimeraient encore le faire ! Vœux pieux et inutiles. C’est un fait dans les grandes villes surtout, mais aussi partout, ou à peu près. Après, il y a la bonne conscience, mais cela n’améliore pas l’assiette. Que reste-t-il donc ? Les grandes surfaces l’ont bien compris. Regardez donc les caddies autour de vous (pas le mien) et vous saurez. Le » fait-maison » qui n’en est pas (j’en reparlerai) a envahi l’industrie et aussi les restaurants. Tout le monde souhaite faire du marketing pour s’en tirer. Tout le monde s’insurge contre la grande distribution, mais peu résistent, je me trompe ? Qui, parmi les jeunes de 20 ou 30 ans, va à son marché local, vers ces petits artisans de bouche, ces producteurs, artistes si précieux qui savent et connaissent encore leur métier et plus pour longtemps, qui sait encore aujourd’hui cuisiner à la maison, avoir les bonnes idées au bon moment, qui en parle ? N’est-ce qu’une affaire de porte-monnaie ? Oui et non. Et je ne parlerai pas ici des livreurs désargentés à vélo de toutes ces firmes alimentaires si puissantes aujourd’hui qui ne font qu’enfoncer le clou de nos perturbateurs endocriniens.
Le goût est à la portée de tous (ou presque)
Non. Moi, je crois à la culture personnelle de chacun. Aux idées et aux projections du goût, de tous les goûts, en dehors de toutes considérations. Il y a dans les mots « alimentation » et » santé » une pauvreté qui nous confine à l’animal aujourd’hui. Nos peurs de mourir par ce que nous mangeons ont dressé et affermi comme le reste du monde politique certains de nos réflexes les plus bestiaux et triviaux et ont alerté nos sens reptiliens primaires de survie dans un monde de brutes. Le consumérisme n’a jamais été aussi fort. Je n’aime pas les diététiciens. Je n’aime pas non plus les faiseurs de morale, ni les aventuriers de l’assiette équilibrée et qui ne l’est pas, ni les biopensants d’une autre ère, ou d’un avenir proche. Ni aucun principe de bouffe sinon le sien, le tien, le mien, le nôtre et tous les autres, avec beaucoup de respect pour ce que vous aimez par dessus tout, fusse du Nutella, de la chantilly et d’autres choses encore ! Sur un marché, il suffit de regarder la gueule d’un légume, d’une viande, l’œil et les branchies d’un poisson pour savoir que ce sera bon. À vous de faire le reste et c’est très simple et pas plus cher que du Picard ou que n’importe quelle autre marque. C’est une affaire de résistance et de choix, et non pas seulement de traçabilité. Il ne s’agit pas non plus d’être sorti de la cuisse de Jupiter, mais d’être gourmand et de s’intéresser à soi et aussi aux autres. Il faut sortir de sa bulle !!! Ne pas accepter le tout-prêt mauvais, même quand il semble bon. Cuisinons ensemble. Faire la cuisine est un acte de résistance aujourd’hui. Soyons-en convaincus. Manger n’est pas rien aujourd’hui. C’est certain.
La gastronomie est une poésie. Manger doit être un acte réfléchi et de plaisir, parce qu’il est justement réfléchi. La cuisine aussi. Reprenons nos marques à tous. C’est une affaire d’histoire, d’âme, de recherche, et surtout de culture et qui ne le sait ? Nous mangeons pour vivre, mais nous ne vivons pas pour manger. Nous mangeons ce que nous sommes.
Il faudra bien que nous en soyons convaincus un jour.