Jean-Baptiste Debret (1768-1848) est l’un des fondateurs sans le savoir de la nation brésilienne. Ce peintre français parachuté en 1816 de l’autre côté de l’Atlantique lors de l’une des plus importantes missions franco-brésiliennes de l’histoire réalise en 1822 du côté de Rio ce tableau digne des plus belles natures mortes hollandaises du XVIIe siècle intitulé. Son titre : Les Fruits du Nouveau Monde. L’artiste reviendra en France en 1831 pour des raisons de santé et s’éteindra à près de 80 ans presque oublié à Paris en 1848, non sans avoir publié une des grandes références de l’histoire et de l’ethnologie au Brésil Voyage pittoresque et historique au Brésil, ou Séjour d’un artiste français au Brésil paru en France entre 1834 et 1839. Étonnamment, alors que les récits de voyage ont le vent en poupe à l’époque, l’ouvrage fait un flop éditorial à sa sortie en France. Il ne sera traduit en portugais que beaucoup plus tard en 1944 et demeure à ce jour une œuvre de référence pour la culture brésilienne, contemporaine de la naissance de l’identité de la nation toute entière, bien avant les idéologies d’Auguste Comte et la conception du drapeau brésilien ayant pour bannière les mots d’ordre et de progrès.
Entre deux mondes
« Rien n’altéra en moi le sentiment de mon utilité et l’enthousiasme que m’inspira la culture de mon art sous un ciel si pur et où la nature déploie aux yeux du peintre philosophe la profusion d’une richesse inconnue de l’Européen »
Jean-Baptiste Debret
Élève et cousin du grand peintre David, fervent admirateur de Napoléon, Jean-Baptiste Debret s’exile au Brésil à la chute de l’empereur et est invité dans le cadre de la « Mission artistique française » à créer une Académie des beaux-arts à Rio de Janeiro, alors capitale du nouveau royaume. Dessinateur émérite forgé au style néoclassique de la fin du XVIIIe siècle et à cheval entre deux mondes aussi bien historiques, l’ancien monde des Lumières et le monde moderne capitaliste et libéral, que géographiques, le Vieux et le Nouveau Monde, il ne tarde pas à saisir sur place en bon dessinateur et aquarelliste la vie quotidienne du Brésil d’alors, quelques années à peine avant son indépendance politique et économique en 1822. Il dénonce la vie abominable des esclaves noirs, lesquels ne seront libérés de leurs chaînes qu’en 1888, celle dispendieuse des riches colons blancs et s’intéresse aussi aux mœurs gastronomiques des Brésiliens.
Mondialisation ? Quelle mondialisation ?
Actuellement, l’histoire a tendance a disparaître de nos cadrans et cela est un signe assez alarmant pour notre futur. Depuis le néolithique au moins, si ce n’est le paléolithique, les échanges, les croyances et le commerce, le besoin de « se distinguer » comme aurait dit Bourdieu reprenant d’autres schèmes plus contemporains, modèlent notre planète. Cette soif infinie assez universelle et pas seulement bourgeoise a forgé nos goûts, nos habitudes alimentaires et nos cultures dans un perpétuel va-et-vient entre notre terreau imaginaire statique et celui de l’ailleurs, des colonies et de l’exotisme idéal, pour finir platement aujourd’hui en objet de consommation courante.
L’ananas, le « roi des fruits », quoi que fragile contrairement à la banane, au beau nom indien originaire du sud du Brésil et de ses régions limitrophes (lequel apparaît discrètement à droite de la toile de Jean-Baptiste Debret) sera introduit par les Portugais au Bengale dès le XVIe siècle, court à la même période jusqu’à Madagascar, arrive et s’implante en Afrique et en Chine via les Européens au siècle suivant, devient un symbole d’une mondialisation qui n’en a pas encore le nom. Un succès sans précédent dans toute l’histoire si difficile à retranscrire des fruits et des légumes, sans oublier nos bonnes vieilles patates et tomates, elles aussi issues du Nouveau Monde. Louis XIV en personne consommera paraît-il de l’ananas de serre au crépuscule de sa vie. Beaucoup plus tard à la fin du XIXe siècle, seule l’industrie américaine d’Hawaï saura vulgariser ce produit acclimaté à la force du poignet dans l’archipel. D’après moi, cette magie aristocratique et ce choc imaginaire, contraires aux habitudes alimentaires, expliquent encore aujourd’hui notre soif hors-saison de petits-pois ou de haricots verts, sans parler des tomates et des courgettes, des poivrons, pourtant tous légumes de nos latitudes. Nous avons été des enfants gâtés et il est peut-être temps de s’en rendre compte ? Le seul fait de réfléchir à tout cela constitue déjà un progrès. Ordem e progresso ?
Exposition -dossier : Les Fruits du Nouveau Monde, une expédition artistique et scientifique au XIXe siècle
Musée Magnin
4, rue des Bons Enfants
21000 Dijon
Tél : 03 80 67 11 10
L’exposition sera entourée d’une série de conférences et d’animations à découvrir sur le site du musée.