Restaurants historiques parisiens : 250 ans déjà !

Guy Martin au Grand Véfour (photo de l’auteur)

Le Cadran bleu (à gauche près du célèbre Café turc à droite), lieu de rencontre des comédiens des Boulevards, sera célèbre sous la Restauration. Il fermera tristement sous le Second Empire.

Le vendredi 28 mai 1848, un journaliste anonyme écrit dans la gazette du Figaro-programme :

« Les dieux s’en vont, et avec eux les vieux restaurants. Que sont-elles devenues ces illustres maisons culinaires qui s’appelaient le Rocher de Cancale, le Café de Paris, le restaurant Grignon, et tant d’autres qui florissaient sous le Directoire ? Elles ont disparu, en ne nous laissant qu’un nom et le souvenir savoureux du génie de leurs cuisiniers. Heureusement que, pour nous consoler de tant de pertes, il nous reste encore le Cadran bleu, le plus ancien peut-être des glorieux restaurants que nous pleurons. C’est au Cadran bleu que nos grands-pères fêtaient les joies intimes de la famille et les triomphes des armes françaises. Béranger, infidèle pour un jour à Lisette, allait avec Babet au Cadran bleu se régaler sans bruit. Nous nous y rendons à notre tour, attirés par le fumet exquis de ces cuisines historiques et par le luxe que le propriétaire actuel, M. Wantzell, a introduit dans les salons et dans les cabinets un peu nus de Bancelin. S’ils respectent les bonnes traditions, nos petits-fils n’oublieront pas le chemin du Cadran bleu ! »

Autant dire que le regret témoigné sur la disparition des restaurants qui ont fait la fortune et la réputation de Paris ne date pas d’hier. Ce discours bien ancré dans la littérature gastronomique qui fleurit à Paris durant tout le XIXe siècle et encore au début du XXe siècle si l’on pense au grand témoin de son époque Jacques Boulenger (1879-1944) – « l‘un des derniers héritiers d’un monde auquel la guerre de 1914 avait porté un coup fatal » dit de lui un nécrologue en 1946 – est presque un poncif et un exercice de style bien connu. Oui, il faut bien l’avouer, comme le reconnaissent en préambule nos amis chercheurs en histoire culturelle de la gastronomie et en sciences de l’information et de la communication (Université de Versailles / Saint-Quentin-en-Yvelines) Denis Saillard (que nous remercions ici au passage) et Françoise Hache-Bissette dans leur dernier ouvrage Restaurants historiques de Paris paru le 15 octobre dernier aux prestigieuses éditions Citadelles & Mazenod : « Sans doute ne mesurons-nous pas combien la préservation des décors de restaurants appartenant à l’histoire gastronomique, et au-delà au patrimoine de Paris, relève d’un petit miracle ».

Décor au Grand Véfour : l’automne (vers 1850).

Un phénomène si parisien

Né à Paris dans les années 1760, le modèle du restaurant parisien va s’exporter en province au XIXe siècle. Le premier établissement attesté est celui de Mathurin Roze de Chantoiseau qui propose en 1765 un « bouillon de santé », un bouillon de viande que l’on appelle « restaurant » tant il redonne vie à celui qui le déguste. Le mot et la mode sont lancés et dureront jusqu’à ce jour dans la ville lumière et… dans le reste du monde, pas une petite affaire donc… Il fallait bien ce beau livre grand public, mais très bien documenté, pour expliquer tout cela. Au Palais-Royal, un temps épicentre de la vie mondaine assez débauchée de la Révolution à 1836, date de la fermeture brutale des maisons de jeux et de l’interdiction de la prostitution, il ne subsiste plus aujourd’hui que Le Grand Véfour de notre ami Guy Martin (d’abord Café de Chartres en 1784, puis restaurant du Grand Véfour en 1820), un cas unique à Paris.

Il ne reste plus rien du fameux Bœuf à la mode du Palais-Royal si ce n’est cette enseigne en devanture. Créé en 1792, il fermera définitivement en 1936.

De quartiers en quartiers… 

Peu à peu, les restaurants émigrent sur les Grands Boulevards, nouvelle scène pendant une cinquantaine d’années de la vie parisienne nocturne et des soupers d’après spectacles. Les grands travaux haussmanniens du Second Empire vont encore changer la donne en déplaçant encore une fois le centre vers l’Opéra, les Champs-Élysées, certains nouveaux axes de la rive gauche et surtout vers l’ouest huppé et totalement moderne pour l’époque. La construction de 11 gares à Paris entre 1837 et 1900 dynamisent certains quartiers (par exemple Montparnasse et le Bouillon Chartier récemment rénové), tout comme les Expositions universelles de 1878, 1889 et 1900 qui entraînent de profonds remaniement. Certaines enseignes proches du Champs de Mars en profiteront comme Le Pavillon Ledoyen encore debout aujourd’hui. Ces Expositions universelles parisiennes (48 millions de visiteurs en 1900 quand même…) feront aussi la fortune des décorateurs chargés de mettre au goût du jour dans le style art nouveau de nombreux restaurants de la capitale : le Gallopin près de la Bourse, le célèbre Maxim’s, le Pharamond et Le Cochon à l’Oreille aux Halles. Implanté dans la gare de Lyon, le gigantesque vaisseau du Train bleu bénéficie lui des deux, nouvelle gare et exposition universelle de 1900… Le tour d’horizon de l’ouvrage Restaurants historiques de Paris se termine à La Coupole de Montparnasse, le dernier véritable quartier bien défini des fêtes parisiennes de l’entre-deux-guerres.

Brasserie Bofinger (Bastille)

Après le dernier conflit mondial, les choses allaient encore changer et la brasserie Lipp créée par un Alsacien en 1880 au moment où fleurissent à Paris ces drôles de restaurants « allemands » (comme on disait à l’époque) nés après la victoire de la Prusse sur la France (comme la somptueuse brasserie Bofinger à Bastille), allait connaître son heure de gloire à Saint-Germain-des-Prés au son des rythmes et mélodies endiablées du jazz.

Riche de 270 superbes photos couleur signées par Sabine Hartl et Olaf-Daniel Meyer, l’ouvrage fait un vrai grand tour d’horizon sur le monde et l’histoire passionnante des grands restaurants parisiens. On regrettera peut-être dans les illustrations l’aspect assez vide des lieux qui ne retranscrit pas le caractère vivant et convivial d’un restaurant – rien de tel qu’un restaurant vide non ? – et peut-être aussi le fait que les grands restaurants aujourd’hui disparus soient largement oubliés, mais cela est encore une autre histoire… Noël approche, on ne peut donc que le conseiller vivement aux mordus de l’assiette et aux inconditionnels de l’histoire parisienne, voire des deux !


Denis Saillard et Françoise Hache-Bichette, Restaurants historiques de Paris, éditions Citadelles & Mazenod, 256 pages.

Parution : octobre 2019

Prix : 79 €

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