Très attendue en France, car étant la première rétrospective nationale sur cet artiste qualifié par Manet de « peintre des peintres », l’exposition « Velázquez » débute mercredi prochain au Grand Palais et marque un temps fort de la saison culturelle. Elle regroupera pour la première fois sur le territoire 119 œuvres dont 57 tableaux du maître. Très féru d’art et amateur en particulier des natures mortes du Siècle d’or espagnol, le chef ibérique Alberto Herráiz, natif de la province de Castilla-La Mancha, a voulu mettre à l’honneur ce grand artiste dans les assiettes de son restaurant parisien Fogón d’une manière forte, originale et personnelle. Une vraie signature d’artiste.
Alberto Herráiz, le piano dans l’atelier
Alberto n’en est pas à ses débuts. C’est presque une seconde nature chez lui que de marier subtilement et avec talent, humour souvent, la peinture et la cuisine, les toiles et les assiettes, en un accord parfait qui réveille autant les sens que l’esprit. En 2012 déjà, il créée ses premiers « menus-tableaux » (le mot est resté) autour de l’exposition « Dali » à Beaubourg. Ce sera le menu surréaliste « Dali-rant »…
« Je suis un grand amateur d’art, surtout contemporain, mais de l’art en général. Chaque tableau me donne des idées en cuisine. L’exposition Dali a initié cette première approche transversale et depuis, de nombreux clients me demandaient si je souhaitais renouveler l’expérience… Juan Manuel Bonet, l’actuel directeur de l’Institut Cervantès, ambassade de la culture espagnole à Paris, est venu me voir en 2014 pour mettre sur pied avec lui une plus grande opération. Nous avons puisé tous les deux dans notre musée imaginaire pour choisir des œuvres significatives, essentiellement espagnoles, mais aussi françaises. Il ne me restait plus qu’à interpréter et décliner ensuite, l’Institut m’accueillant tous les mois au cours d’une masterclass où j’explique les recettes, Juan Manuel Bonet, également historien de l’art, se chargeant de l’aspect culturel des œuvres. »
De Velázquez à Picasso
Depuis octobre dernier, 6 « menus-tableaux » inspirés de 6 toiles d’artistes et renouvelés chaque mois sont ainsi proposés au restaurant. Le premier peintre retenu cet automne fut justement Diego Velázquez (1599-1660), la figure majeure de la peinture espagnole bientôt à l’honneur au Grand Palais. D’après Alberto, « la toile choisie « Le porteur d’eau » n’était pas la plus facile à mettre en œuvre. Le challenge était de composer un menu incolore… » Un véritable exploit relevé avec brio par le chef dont les assiettes pourront être a nouveau dégustées exceptionnellement au Fogón, le temps de l’inauguration de l’exposition du Grand Palais, du 25 mars prochain au 5 avril.
Au menu de ce « menu-tableau » achrome incroyable imaginé par Alberto Herráiz (voir photo ci-dessus) : Consommé accompagné de légumes de saison et Manzanilla, Crevettes baignées dans l’eau de morue, Chinchard couvert de lard ibérique, navet, radis noir et rutabaga, La plage à la marée montante (photo ci-dessous), Riz en paella blanche de morue/cabillaud, Figue en transparence de rose litchi et Aloé Vera, pour terminer par un Cristal de figues et pépins de courges (!)… Attention : pour les intéressés qui ne manqueront pas de réserver, certains plats proposés ici sont susceptibles d’être adaptés par le chef, car nous ne sommes plus en octobre…
Des toiles aux livres de cuisine
L’aspect décalé, très poétique et parfaitement maîtrisé de la cuisine d’Alberto Herráiz, j’ai la chance de l’apprécier depuis l’ouverture de son restaurant en 1997, en particulier l’art de la paella, qui est loin d’être aussi simple qu’on le dit ! J’ai eu tout dernièrement la grande chance de déguster le menu-tableau de mars dédié au peintre espagnol Luis Meléndez autour de sa toile « Nature morte au saumon et citron » (1772 – Museo del Prado, Madrid) , lequel est servi jusqu’à dimanche. Je peux vous assurer que l’expérience sensorielle unique vaut plus que le détour, diablement envoûtante avec une grande délicatesse de mariages et d’accords surprenants et sans limites. Dans le cas présent, le gras du saumon se retrouve apaisé par la tonicité des citrons et des agrumes qu’Alberto sait parfaitement mettre en valeur : cédrat, limes, main de Bouddah, yuzu, ou citron-caviar (voir photo ci-dessous).
Oui. Mais Alberto Herráiz n’est pas qu’imaginatif. C’est aussi et peut-être surtout un chef doté d’une vaste culture de l’histoire de la cuisine, en particulier de la cuisine française. Après les tableaux et l’art, l’homme raffole des livres – faudrait-il en douter ?, dont les ouvrages de cuisine qu’il collectionne également. Ses références culinaires à la Maison Troigros pour son excellent Saumon à l’oseille revisité et cuit à la minute et sur la table à même l’ardoise (voir photo ci-dessus), le Saumon à l’unilatéral (hommage à la Maison du Danemark fréquentée dans ma jeunesse…) et son dessert tout citron décoré d’une cristalline de citron confit à la manière de mon ami Michel Trama invitent à la rêverie culturelle et poétique des plus grands esthètes… Une vraie communion à ne pas manquer jusqu’en juin prochain, avec au programme de clôture… Picasso, l’autre peintre des Ménines en 1957 !
45, quai des Grands-Augustins
75006 Paris
Tél. : (33)1 43 54 31 33
A l’Institut Cervantès, avec Alberto Herráiz dans le cadre de l’opération « Madrid –Paris. Du Restaurant Fogón à la cuisine peinte ». Prochaine session : lundi 23 mars de 18h30 à 21h30 (sur inscription uniquement – Prix : 75 €) autour de la peinture de Luis Meléndez « Nature morte au saumon et citron ».
Instituto Cervantes de Paris – Cafe Fiorella
7, rue Quentin Bauchart
75008 Paris
Tél. : (33)1 40 70 92 92
25 mars – 13 juillet 2015
Grand Palais
galeries nationales
entrée square Jean Perrin
Ouverture : dimanche et lundi de 10h à 20h, du mercredi au samedi de 10h à 22h. Fermé le mardi.