Marc Petitjean : la construction de Beaubourg

Démolition du restaurant Isola Bella vue depuis mon balcon (1974) © Photo Marc Petitjean

14 mars 1960. Quinze années se sont écoulées depuis la dernière guerre mondiale et Paris se prépare à rayer de la carte son « ventre », ses « ventres » même : les Halles et les abattoirs de La Villette. Un nouveau monde se profile à l’horizon. Du 27 février au 1er mars 1969, le « déménagement du siècle » provoquant l’exil du centre de Paris de près de 20 000 personnes, employés et petites mains des Halles, sans parler des professions annexes, crée un vide incommensurable et un choc pour les Parisiens. En ces années de tremblements de terre, l’onde de choc se propage rapidement à l’est jusqu’au Marais et le quartier de la rue Brantôme en bordure de la rue Beaubourg et du Renard. Cette année-là, Marc Petitjean jeune photographe âgé de 18 ans emménage près du futur Centre Pompidou avec sa famille au 24 de la rue Beaubourg, juste en face du Rendez-vous des Routiers, un modeste bistrot de quartier installé depuis au moins quarante ans dans cet îlot devenu insalubre. Il y habitera jusqu’en 1985, verra l’inauguration du centre Beaubourg le 31 janvier 1977, et photographiera sans relâche le quartier pendant vingt ans – environ 3000 clichés en noir et blanc, saisissant les changements, l’architecture, les hommes et femmes qui y vivent et les passants. Amoureux de Charles Marville et d’Eugène Atget, ne dédaignant pas Brassaï, Marc Petitjean est à sa façon une sorte de résurgence des temps surréalistes. A la fois photographe, reporter, documentaliste et scénariste, Marc Petitjean sait faire parler son objectif au plus profond de notre inconscient subjectif en révélant toute une tranche de l’histoire parisienne. Ayant déjà exposé une première fois au Centre Pompidou en 1997, Marc Petitjean nous invite jusqu’au 4 mars à la galerie Michèle Chomette au 24 de la rue Beaubourg pour une émouvante et percutante exposition intitulée De son balcon 24 rue Beaubourg, Marc Petitjean regarde son quartier accoucher du Centre Pompidou, Photographies 1972-1985.

Marc Petitjean à la station Rambuteau rue Beaubourg.

Rue Brantôme vue depuis mon balcon (1974) © Photo Marc Petitjean

« La destruction m’interpelle sans doute et puis, il faut avouer qu’elle est très photogénique. C’est aussi une façon de poser notre existence. Il y a un dialogue avec ce qui est et ce qui a été. Avec le temps, il y a plus de quarante ans, ces photographies ont une autre valeur. Peut-être même nous aident-elles à lire d’autres destructions plus actuelles. Mes photographies font penser à la guerre, alors qu’elles ont été prises dans les années 1970, mais je n’ai jamais posé ici aucun regard nostalgique, sans aucun regret sur le phénomène de destruction ou de disparition. C’était pour moi une manière de noter le nouveau territoire dans lequel j’arrivais. Il y eu une mutation totale du quartier et des boutiques après la destruction des pavillons des Halles entre 1971 et 1973. Je me suis dit que ce n’était pas la vie normale, mais que quelque chose était en train de changer. »

Démolition du restaurant Isola Bella vue depuis mon balcon (1974) © Photo Marc Petitjean

 

Au rendez-vous des routiers

Le café-restaurant Au rendez-vous des routiers 29, rue Beaubourg (1973) © Photo Marc Petitjean

« Dans l’étroite rue Brantôme sordide, il y avait un des derniers lavoirs de Paris. Le soir, le quartier était très mal fréquenté. Ce n’était pas très gai. Du côté de la rue Beaubourg, c’était lépreux, tout tombait en miettes. L’été, l’humidité malsaine des murs suintait et se sentait depuis la rue comme dans un cloaque. » se souvient Marc Petitjean. Juste à côté de l’étroite rue Brantôme, voici le Rendez-vous des routiers devenu aujourd’hui le parking Beaubourg dans l’actuel quartier de l’Horloge. Le restaurant de 60 couverts est plein midi et soir, tenu par la famille Pagès, la mère aux fourneaux, le fils au bar et la belle-fille à la caisse… « C’était bon et pas cher, accueillant et même chaleureux avec une clientèle modeste et variée, l’image du Paris d’avant-guerre qu’avaient immortalisé au cinéma Jean Renoir, Marcel Carné et René Clair. » Après la fermeture et la destruction du troquet en 1974, Marc Petitjean exposera dès l’année suivante dans la rue Saint-Denis voisine une série de clichés du petit restaurant de quartier sous le titre La mort d’un bistrot

La famille Pagès au café-restaurant Au rendez-vous des routiers 29, rue Beaubourg (1974) © Photo Marc Petitjean

« Les Pagès étaient résignés. Ils ont dû s’expatrier dans un autre bistrot du côté de Stalingrad, mais cela n’a pas duré très longtemps. J’ai décidé de sortir un film en 1980 relatant les derniers moments du rendez-vous des routiers : Métro Rambuteau. »

Outre les superbes photos de Marc Petitjean, l’histoire retiendra encore de cette modeste adresse le travail de l’artiste américain Gordon Matta-Clark en 1975 dans son installation réalisée en quelques jours dans le bâtiment appelé à disparaître. C’est d’ailleurs Marc Petitjean qui lui fera découvrir cet immeuble voué à la démolition afin qu’il puisse réaliser sa performance intitulée « Conical intersect » pour la biennale de Paris (voir le film ci-dessous de 11 minutes réalisé par Marc Petitjean en 1975).


 Exposition De son balcon 24 rue Beaubourg, Marc Petitjean regarde son quartier accoucher du Centre Pompidou, Photographies 1972-1985

Du 1er février au 4 mars 2017

Galerie Michèle Chomette

24, rue Beaubourg

75003 Paris

2e étage – accès par vidéophone, sonner à « galerie »

De 14h à 20h :  du mercredi au samedi

Tél. : 01 42 78 05 62

3 Responses to “Marc Petitjean : la construction de Beaubourg”

  1. Philippe Billiard Répondre

    J’ai habité pendant quelques années au 52 rue de Rambuteau dans un immeuble qui donnait de l’autre côté sur la rue Brantôme, n° 17 à 19.
    Malheureusement je n’ai aucune photo de l’immeuble et je serai heureux d’en trouver. Est-ce que par hasard cet immeuble se trouve sur les photos jointes à l’article « la destruction d’un quartier » que je viens d’acheter sur le net
    merci et cordialement

    • Cher Philippe,
      Je réponds bien tard !!!
      Je n’ai malheureusement aucun moyen de vous répondre…
      Bonnes fêtes !
      Bien à vous,
      Olivier

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