Ouvert en 1986 et totalement relooké en 2000, le musée Dapper est un espace assez étonnant, en dehors des lieux de culture parisiens habituels. Si le lieu (du nom d’un obscur humaniste néerlandais du XVIIe siècle, bien connu des africanistes) se prévaut de mettre en avant les arts de l’Afrique subsaharienne, de l’Océanie, de l’Indonésie et des Philippines on peut se dire qu’il y réussit.
Avez-vous déjà bu à plusieurs en même temps sur les bords délicatement festonnés d’un bol Duyu des Philippines ? Avez-vous déjà reçu lors de processions bien particulières du riz, de l’arachide ou mêmes des pièces de monnaie lancés à la volée par d’augustes mères de famille ivoiriennes dans des cuillères en bois géantes (voir photo ci-dessous) ? Avez-vous jamais bu dans des cornes à boire du vin de palme, ni pilé le manioc ou les noix d’arec dans des mortiers de toute beauté ? L’exposition L’art de manger, au titre un peu elliptique, présente des pièces d’exception que tout amateur d’art et de gastronomie se doit d’aller visiter. Elle est complétée par trois installations et œuvres du franco-béninois Julien Vignikin qui nous interroge de manière abrupte sur les problèmes liés à l’accès de l’alimentation dans le monde… Parmi les quelque 140 pièces présentées, on remarquera tout particulièrement ce plat en bois mélanésien de plus d’un mètre de large (voir photo ci-dessus) servant vraisemblablement de plat d’apparat pour présenter du porc préalablement cuit. Les similitudes avec les cratères grecs dans les anses à volutes sont troublantes, sans parler du design si épuré !
Thèmes universels, en Afrique, Océanie et Malaisie ou Insulinde, « manger » et « boire » ne sont pas seulement des actes du quotidien, mais entrent parfois dans une véritable communion entre les vivants et les esprits ou les défunts lors de cérémonies particulières. L’aliment ou la boisson offerte créent ainsi du lien et permettent de vivre ensemble, morts et vivants confondus. Après avoir abordé la question des types d’aliments et de boissons, l’exposition se clôt à l’étage par une petite partie sur l’anthropophagie avec quelques bouleversants crânes surmodelés des Îles Salomon.
Ces rites, dont beaucoup se sont perdus, gardent une trace dans le mobilier, les masques et la vaisselle d’un autre temps, d’une autre sphère, d’autres peuples. Usés, lissés par des mains aujourd’hui inconnues, utiles et futiles à la fois, empreints de sacralité contenue, déconcertants aussi par leur simplicité, ces objets terriblement muets nous interrogent sur ce que « manger » veut dire. De la même manière qu’un retable italien du Quattrocento déplacé au sein d’un musée contemporain, ces objets décontextualisés perdent parfois un peu de leur sens, malgré quelques heureuses vidéos disposées dans l’exposition. Profanes, nous nous perdons un temps soit peu dans notre géographie, nos souvenirs lévi-straussiens, mais alors, faut-il le dire : quel spectacle ! La beauté des matériaux, lignes, ciselures et décorations et surtout le monumentalisme de ces objets sont étonnants et valent certainement le voyage.
L’art de manger, une exposition présentée au Musée Dapper jusqu’au 12 juillet 2015 (de 11h00 à 19h00, sauf le mardi et le jeudi)
35 bis, rue Paul Valéry
75116 Paris
Tél. : 01 45 00 91 75
Entrée : 6 € (4 € tarif réduit)