Revenir en province a parfois du bon pour un Parisien que nous sommes devenus. Cela renvoie à notre passé où certaines choses simples deviennent soudainement évidentes. Il y a de la poésie là-dedans.
D’un calme absolu, le pittoresque village de Grignan (Drôme) est encore dominé aujourd’hui par l’imposante façade du château habité en son temps par la fille de Madame de Sévigné. La grande dame épistolière devait s’y éteindre en 1696. C’est près de ce « Versailles du Midi » que Jean-Luc Valadeau décide de poser ses valises en 1999. L’ancien hôtel des XVIIe et XVIIIe siècles détenu jusque là par l’ambassadeur du Canada était à reprendre. Ce fils de vigneron du Bordelais, formé à l’école hôtelière de Bordeaux et ayant déjà une belle carrière derrière lui tombe sous le charme du lieu. Ce sera « Le Clair de la Plume », un hôtel haut-de-gamme dans un cadre unique et à deux pas d’un des plus beaux lavoirs de Provence. Très vite, l’idée d’un restaurant devient évidente. En 2012, ce dernier est aménagé au rez-de-chaussée de l’hôtel, une très belle salle étant installée sous une lumineuse véranda du XIXe siècle. En 2013, Le chef Julien Allano rejoint Le Clair de la Plume : « Je ne devais y rester que six semaines, mais j’y suis encore ! » reconnaît-il. Deux ans après son arrivée et seulement trois ans après la création du restaurant, il décroche son premier macaron Michelin en 2015.
Fier de son succès, Jean-Luc Valadeau va développer en quelques années son offre hôtelière, d’événementiels et de restauration : la « Maison privée », une ancienne bâtisse sise dans le centre, la « Ferme Chapouteau » avec son bistrot créé en 2017 et récompensé d’un Bib gourmand, ses chambres, salle de séminaire et sa piscine, son oublier un potager où le chef vient récolter ses légumes et ses herbes fraîches. S’ajoutent à cette offre déjà large une boutique sur la place du village et un autre lieu secret et bien caché, le « Jardin méditerranéen » où il fait bon flâner l’été, à l’écart du monde, se reposer dans le « pavillon des amoureux » ou piquer une tête dans la piscine naturelle en contemplant le château (voir photo d’ouverture).
Julien Allano, une signature
Natif d’Avignon, mais ayant grandi dans l’Aveyron à Villefranche-de-Rouergue, le chef Julien Allano reconnaît avec amusement qu’il a eu très vite envie de voler de ses propres ailes. « J’ai été promu chef pour la première fois à l’âge de 23 ans. Deux ans plus tard, j’arrivais au restaurant étoilé de l’époque La Mirande à Avignon, l’endroit où j’ai fait mes armes. S’ensuit une expérience en Corse au Palm Beach d’Ajaccio, avant l’arrivée à Grignan en 2013. Je n’ai personnellement jamais eu de maître à penser, même si j’avoue avoir un penchant pour le classicisme de Bernard Pacaud et la poésie de la cuisine de Michel Bras. Pour moi, il s’agit de deux personnalités opposées mais qui se rejoignent dans leur grande générosité » Il faudra quelques années avant que Le Clair de la Plume ne trouve la bonne formule entre son offre gastronomique et bistronomique. Avec ses 12 tables, la Maison Principale avec sa belle véranda et sa petite salle à manger deviendra l’écrin du restaurant gastronomique, tandis que la Ferme Chapouteau acquise l’année dernière dans son cadre verdoyant sera consacrée à l’offre bistronomique, avec sa large terrasse protégée du soleil et du mistral. « Nous essayons de ciseler au mieux les assiettes tout en gardant beaucoup de simplicité. Ce qui m’intéresse, c’est avant tout la lisibilité et la mise en valeur du produit » explique le chef. Perfectionnisme et justesse des assiettes se ressentent jusqu’au service en salle : un petit fagot de thym frais juste enrobé de beurre parfumé à l’ail sert au moment du service à relever le filet de bœuf dans le plat « bœuf carottes à notre façon ».
Un festival
Les amuse-bouches (voir photo ci-dessus) arrivent comme de petites bulles de saveurs : réconfortant Cromesqui au beurre à la truffe d’été, feuille d’huître, crème d’artichaut, chips… Le « Macérat d’huile d’olive de Nyons » présenté sur un support en bois d’olivier est une très grande surprise. Dégusté avec une focaccia, il possède une belle et suave rondeur en bouche. « J’ai inventé par hasard le macérat d’huile d’olives de Nyons un peu comme la tarte des sœurs Tatin. Souhaitant de la brillance à mes olives de Nyons, j’ai pris l’habitude de les faire macérer dans de l’huile. Après quelques temps de macération, le goût de l’huile devient surprenant ! Après trois semaines, le parfum corsé des olives se transmet à l’huile pour donner ce précieux macérat que je présente à la dégustation près de l’huile d’olive de Nyons pour comparer les deux saveurs » précise Julien.
Hyper rafraîchissante en ce chaud mois de septembre finissant, l’Eau de tomate que j’ai découverte chez Michel Troisgros il y a quelques années (des tomates coupées en quartiers, mélangées au mixer avec des blancs d’oeuf, à peine cuites, et mises au chinois avec un torchon propre pour obtenir le précieux liquide) appelée « summertime » (un hommage à Gershwin ?) par le chef est agréablement parfumée ici par du basilic et de l’anis qui s’harmonisent entièrement comme dans un ballet. « Ma grand-mère aimait réaliser de grandes salades de tomates. Enfant, j’aimais me régaler du jus de tomates et de l’huile d’olive au fond du saladier. Nous nous battions pour y tremper notre morceau de pain... » se souvient Julien. Une délectation.
Le Foie gras du Gers/ feuille de figue à peine cuit, d’abord poché subit une seconde cuisson très courte dans une feuille de figue. La petite sauce au campari qui amène l’amertume au plat s’accorde avec les subtilités des parfums de la figue et apporte un équilibre subtil au plat. La cuisson du foie est juste sublime.
L’Île aux coquillages au titre évocateur retranscrit un souvenir d’enfance du chef : « Ma grand-mère faisait des moules gratinées à Noël avec de la chapelure et beaucoup de jus de citron. Lorsque nous terminions ce plat d’une grande gourmandise, nous avions le sourire aux lèvres. J’ai rappelé la chapelure de mon souvenir par une poudre de champignons secs qui vient relever la crème fouettée aux coquillages et aux champignons de Paris bruns. Ce sont eux qui vont apporter le côté umami au bouillon de crustacés qui est assez corsé ».
S’ensuit un Saint-pierre / artichaut violet, feuille d’huître et de bourrache / beurre d’algues, une autre vision de la Pomme de terre « Délicatesse » (une variété de la Drôme) de M. Tardieu de Valence avec sa tomme fraîche / piment d’Espelette et un Bœuf carottes à notre façon qui vaut bien le déplacement (une pièce exceptionnelle appelée « chuck » coupée dans la longueur) accompagné d’un ketchup à la carotte au goût profond et assez indéfinissable imaginé en 2016 dont Julien Allano à le secret. Pour briser le cours de ces accents classiques, le chef propose un Saint-marcellin avec ses brisures d’olives de Nyons.
En guise d’au revoir, après un thé vert glacé à la rose, accompagné d’une petite madeleine aux abricots et sa quenelle de sorbet aux pêches, cette dégustation en 7 chapitres se termine en beauté avec un accord de Figue violette confite / figue blanche / coulis de framboise et carcadet signé du chef pâtissier Cédric Perret.
2, place du Mail
26230 Grignan
Tél. : (33) 4 75 91 81 30
Menus du déjeuner au dîner de 45 à 115 € selon la formule retenue.