Le grand retour de Chartier

Entrée du premier bouillon Chartier rue du Faubourg-Montmartre.

Chartier, deux belles syllabes qui sonnent comme l’une des grandes institutions parisiennes, l’une des dernières du genre sans doute. Repris avec panache dans les années 2000 par la famille Joulie, 7e fortune des groupes de restauration en France selon le magazine Challenges, alors que la maison si belle donnait un peu du vague à l’âme aux amoureux transis de l’adresse que je suis, voici enfin venu le temps du vrai retour de Chartier. Oui !

Bien sûr, ici, pas beaucoup de trace de recherches gastronomiques, ce n’est absolument pas le sujet, mais des classiques parisiens du comptoir qu’il devient rare de trouver ailleurs, toujours dans leur jus, un temps moyen, aujourd’hui tout à fait convaincant. Nous sommes évidemment bien loin du Fooding et du guide rouge, et c’est tant mieux… Pas ou très peu de pub : leur renommée suffit à remplir les lieux pour 450 000 repas estimés par an, une bagatelle qui ferait bien des envieux dans les circuits des si nombreuses adresses franchisées de la capitale… pour faire court. Ces lieux ? Oui, car il y a plusieurs Chartier, le saviez-vous ?…

Le nez dans le bouillon

En 1896 (le film ci-dessus tourné par les frères Lumière entre 1896 et 1900 nous immerge dans le Paris de la Belle Epoque grâce à l’excellent travail de restauration et de reconstitution sonore du restaurateur Guy Jones à suivre sur sa chaîne ici), les deux frères Camille et Frédéric Chartier reprennent une formule déjà bien rodée sous le Second empire lancée par le boucher Pierre-Louis Duval dans les années 1860 aux quartier des Halles de Paris. Il s’agit de proposer des menus à bas coût aux ouvriers, des bouillons bien restaurant et revigorant. La seule adresse subsistante à Paris des bouillons Duval est aujourd’hui la Brasserie Julien, 16, rue du faubourg Saint-Denis dans le 10e arrondissement. La maison Chartier née au départ et toujours debout au 7 rue du Faubourg-Montmartre, à deux pas des Folies Bergère, ne tarde pas à décoller. Paris est alors en pleine effervescence et compterait pas moins de 250 «bouillons » de diverses enseignes vers 1900. Paris est donc bien «bouillonnant », pour reprendre la très belle expression de mon ami Laurent Bromberger, un grand spécialiste des bistrots parisiens, fondateur de Paris-Bistrot.com. Mais les Chartier ne s’arrêtent pas en si bon chemin : après l’adresse du 9e arrondissement, une seconde adresse est créée en 1903 à deux pas de la gare Montparnasse au 59 du boulevard du Montparnasse, une troisième l’année suivante en lieu et place de l’actuelle brasserie Vagenende au 142 boulevard Saint-Germain, puis une quatrième en 1906 rue Racine dans le 6e arrondissement juste à côté de la Sorbonne (l’adresse existe toujours actuellement sous le nom de « Bouillon Racine »). Ces quatre beaux établissements ont gardé leurs décors d’origine signés par l’architecte Jean-Marie Bouvier et le céramiste et maître-verrier Louis Trézel (1863-1912).

 

Le Bouillon Edouard Chartier peu de temps après son inauguration en 1903.

Une renaissance ?

Vendu en 1924, le bouillon Édouard Chartier de Montparnasse est rebaptisé ensuite successivement « bouillon Rougeot » (une autre famille de « bouillonistes » célèbres), puis  «Bistrot de la Gare » en 1977 sous la houlette du chef Michel Oliver fils du grand Raymond, «Montparnasse 1900 » en 2003 (soit un siècle après sa création), date de son acquisition par la famille Joulie, avant d’être à nouveau renommé «Chartier Montparnasse » au début de ce mois de février 2019. Retour aux sources, et un bel hommage aux fondateurs en quelque sorte ! L’endroit a été fraîchement restauré pour l’occasion. Les somptueux décors de boiseries, miroirs et surtout céramiques Belle Époque signés par Louis Trézel sont toujours en place et protégés par une inscription à l’Inventaire le 16 juillet 1984. On y découvre des paysages de France entourés de guirlandes de fleurs et de fruits. Rénovée dans les années 1970, la grande verrière est quant à elle signée du génial et très en vogue à l’époque décorateur d’origine russe Slavik (1920-2014).

À la fortune du pot

Dans l’assiette, il ne faut pas s’attendre à des trouvailles ni à des trésors de gastronomie, mais bien retrouver ici ce qui a fait le bonheur de nos aïeux. Rien que du très classique de la bistronomie de comptoir, mais à des prix battant toute concurrence. Malgré l’énormité du lieu en terme de places (250 couverts), le service continu de 11h30 à minuit tous les jours de la semaine sans discontinuer, le service est alerte, de bon ton, et malgré le ballet incessant des serveurs vêtus de noir et de blanc dans la grande tradition des brasseries parisiennes, on pourrait presque garder encore une certaine intimité. Il n’est pas rare d’y faire des rencontres tant le spectacle est au rendez-vous. Et curieusement, si les touristes sont assez nombreux rue du Faubourg-Montmartre, ici à Montparnasse, c’est plutôt une ambiance familiale et de province bien rafraîchissante… En un tour de main et deux clignements d’yeux, nous voilà retourné plus d’un siècle en arrière au temps des cocottes, des calèches et des fiacres, des becs de gaz, du cancan des faubourgs, des corsets et tailles de guêpe entretenues avec soin et beaucoup d’acharnement, des hauts-de-forme, des belles moustaches, du picrate qui tache un peu la nappe, des repas ensoleillés du dimanche le vin blanc bien au frais coulé dans le cours d’eau voisin, et des chansons d’Aristide Bruant sur la butte…  Loin de son côté tape-à-l’œil, des chichis et folklores assez typiques de ce genre d’endroit que l’on pourrait croire galvaudés, il y a bien une certaine authenticité retrouvée, sans nostalgie et bien vivante, où le décor, l’assiette et la salle, pour une fois, ne font qu’un. La pièce sera dite, et bien dite, à la hauteur de ses acteurs et de ses décors… Théâtre.

En entrée, faites vous plaisir entre une rosette de Lyon, des filets de hareng pommes à l’huile, un museau de porc vinaigrette, un œuf dur mayo (2 € !), un avocat crevette, un céleri rémoulade ou quelques escargots (apprécions la rectitude et la pertinence courte et juste des libellés)… Plus tard, décidez-vous encore pour le bœuf bourguignon, le pied de porc « Félicie » (aussi) grillé et frites fraîches, la tête de veau gribiche, ou pourquoi pas un petit salé aux lentilles, une andouillette grillée, un confit de canard, pommes grenailles, ou pour les plus audacieux les tripous de la maison Savy (10 €) ?…  Y’a qu’à ! Arrivé aux desserts, aurez-vous encore une petite place pour le baba au rhum servi avec une montagne de chantilly, une crème de marron vanillée, des pruneaux au vin, la profiterole Chartier, la pêche Malba ou la Dame blanche meringuée ? Un quart d’ananas frais à 3,50 € peut-être pour faire glisser tout ça ?


Chartier Montparnasse

59, boulevard du Montparnasse

75006 Paris

Tél. : (33) 1 45 49 19 00

Menus à la carte du déjeuner au dîner entre 20 et 25 €.

Pas de réservation possible : prévoir au moins 15 min d’attente.

7 Responses to “Le grand retour de Chartier”

  1. Bellelli Répondre

    Un article qui nous fait voyager.. au temps de Renoir et Zola- et nous mets sans chichis l’ eau à la bouche!

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