Les relations gastronomiques entre la France et l’Italie n’ont pas toujours été au beau fixe, au moins depuis la Renaissance. Qui a inventé quoi et comment se sont forgés les grands mythes de la cuisine française moderne ? Ce fut une bataille d’idées plus que de fourneaux, comme le décrit très bien l’ouvrage paru en juin dernier aux PUR (Presses Universitaires de Rennes) sous la direction de Pascal Brioist et de Florent Quellier : La table de la Renaissance – Le mythe italien.
Il y a des mythes tenaces. L’idée que la France doit tout à l’Italie n’est pas neuve, en matière gastronomique comme en d’autres branches des arts. Étonnamment, ce sera L’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert qui véhiculera bien tardivement cette légende. Il faudrait donc dater du XVIIIe siècle ce mythe ô combien important du legs italien à la cuisine française. Inspirée et moderne, Marie de Médicis aurait apporté dans ses bagages la fourchette, un drôle d’outil encore inconnu des tables françaises, semble-t-il venu de Venise au XIe siècle, de bien étonnants légumes dont l’artichaut, une vraie révolution culinaire et gastronomique que de nombreux historiens et pas des moindres ont inlassablement ressassée jusqu’à l’épuisement du sujet. Pourtant, si la France doit tout à l’Italie, comment parvient-elle en à peine deux siècle à devenir la cuisine la plus renommée d’Europe ? En 1533, Catherine de Médicis épouse le futur roi de France Henri II. L’Italienne aurait apporté en dot, outre sa grande fortune roturière héritée des banquiers toscans, également sa science culinaire et ses propre chefs péninsulaires. Les anecdotes ne manquent pas à ce sujet. Pourtant, les récits d’époque anti-italianisants poussent comme des champignons dénonçant la vie dissolue de la cour plus tout à fait française. En 1605, un certain Artus Thomas publie un récit imaginaire et contestataire sur le régime. Ce sera L’Isle des Hermaphrodites (voir frontispice ci-dessus), étonnante satyre décalée et fantasmée de la cour d’Henri III décrivant les mœurs dépravées des hermaphrodites, les mignons de roi, emprunts d’itanialité fausse pour ne pas dire d’italianismes, êtres décadents mi-mâles mi-femelles, sans caractère, s’empiffrant de viandes sophistiquées et de denrées étrangères et nouvelles comme l’artichaut, le pois et les asperges, légumes réputés aphrodisiaques, usant de leurs fourchettes, instrument diabolique, pour ne pas se tâcher leurs fraises (d’où le choix de la peinture de Vincenzo Campi des Mangeurs de Ricotta reproduite ci-dessus) . Il y a ici un paradoxe. Au siècle suivant, la modernité de nos assiettes viendrait donc d’Italie, mais est-ce sûr ? Il semble que non. A la fin du XVIIIe siècle, il y a comme un désir évident d’universalisme de la part des encyclopédistes et de généralisation en plongeant les origines d’une nation française dans la longue histoire italienne ou grecque. Rien de plus banal. Comme toujours en histoire, il n’y a de grande révolution que dans le temps long qu’il faut observer à la lorgnette. Et surtout il y a ici une propagande légitimiste manifeste. Les choses ne sont pas aussi simples que le prétendent les « historiens du dimanche ». D’après les dernières recherches, la cuisine française du XVIe siècle reste encore très moyenâgeuse dans ses goûts, épices, acide et verjus étant encore d’actualité, mis à part l’introduction du beurre et du sucre, de vraies nouveautés cette fois. Alors, l’Italie et la France, un mirage de plus ?
La table de la Renaissance – Le mythe italien par Pascal Brioist et Florent Quellier (dir.) , éditions Presses Universitaires de Rennes et Presses Universitaires François Rabelais, 258 pages.
Parution : mai 2018
Prix : 24 €