Un dîner chez Drouant

Un monument : l’escalier Arts-Déco signé Jacques-Emile Ruhlmann (1879-1933).

DROUANT, un peu comme une petite Mecque de la littérature et une adresse gastronomique historique à Paris depuis 1880. Certains s’y tournent naturellement tous les ans au début du mois de novembre en espérant décrocher la lune… et le prix Goncourt :10 euros seulement, mais une renommée « éternelle ». Depuis 1914, année de la première réunion des 10 « académiciens » chez Drouant, la liste est longue des littérateurs-académiens de tous poils y ayant siégé tous les mardis pour parler bouquins et cancans littéraires. Mais qu’en est-il de sa cuisine ?

Moi, j’y suis allé pour voir le fond de l’assiette. Rien d’académique à cela, un réflexe un peu inné de Parisien mâtiné de provincial se frottant (à l’ail) aux grands de ce monde. Surtout que le maître des lieux, Antoine Westermann, a longtemps fait partie de ces maîtres queux encensés il y a encore peu par la critique. Chef triplement étoilé au Buerehiesel de Strasbourg en 1994, ayant laissé il y a cinq ans sa place au piano à son fils Éric, Antoine Westermann a depuis diversifié ses expériences. Comme de nombreux grands chefs de sa génération, il aura sans doute compris que la cuisine ne se résumait plus aujourd’hui à une seule bonne table étoilée, mais qu’il lui fallait s’adapter aux changements de mentalité de l’époque avec des cartes plus économiques et une cuisine simplifiée, et qu’il faut mieux multiplier les expériences avec de fidèles collaborateurs que de se voir perdre une étoile dans un seul établissement…

À 57 ans en 2003, Antoine Westermann a voulu tenter l’expérience parisienne. Pari osé, mais pas tant que cela, pour cet audacieux Alsacien : après Mon vieil ami, une adresse bistrotière réputée pour son pâté en croûte, installée stratégiquement en l’île Saint-Louis, il acquiert Drouant en 2006, une vraie institution qui bat alors sérieusement de l’aile… Pas facile de reprendre les rênes d’une adresse historique, comme on le sait bien ! Mais le bouillant chef n’en est pas à sa première tentative : après Fortaleza do Guincho en 1998, il installe ses collaborateurs aussi bien à Madère qu’à Washington… et, l’air de rien, commence à se faire un petit empire… Le dernier né en date dans la capitale, c’est depuis le 26 janvier le Coq Rico, un bistrot montmartois pour belles poules et gallinacés de tous poils…

Le soir au Drouant, la carte est plutôt agréable et sans trop de chichis, présentant une farandole d’entrées (26 €) et de desserts (15 €) autour de thématiques assumées : légumes, poissons, « classiques » ou produits exotiques, chocolat, glaces et sorbet ou fruits frais. Le service est spontané, décontracté et aimable, mais la lumière tamisée fait qu’on ne voit pas très bien son assiette (d’où la qualité moyenne des photos, que nos lecteurs m’en excusent !).

En entrée, la soupe de topinambours aux truffes fraîches est bien sentie, l’émincé de truffe peut-être un peu court… Côté poisson, les goujonnettes de merlan frit à la sauce gribiche revisitée et le carpaccio de Saint-Jacques accompagné d’une sorte de beurre d’artichaut à l’huile de truffe (une vraie trouvaille !) sortent du lot. On regrettera un peu la dominante vinaigrée de l’ensemble des légumes, notamment des carottes aux épices, betteraves crues et cuites, qui tranche trop avec la suavité du topinambour et des cocos au citron confit… La soupe de poireaux et pommes de terre aux huîtres n’est pas d’un intérêt majeur et l’huître cachée au fond de la verrine est trop cuite.

Comme plats, l’épaule d’agneau de lait confite fond dans la bouche et le pluma de porc ibérique Pata negra, un des meilleurs morceaux, est un choc gustatif à lui tout seul. Les 4 petites cassolettes de légumes de garniture, servies à part, étonnent par leurs saveurs originales : la purée de potimarron / patate douce est agréablement parfumée de gingembre, pas trop sucrée, et les épinards à la crème très curieusement aillés à souhait. L’endive violette cuite sous vide et braisée (présentée comme pour les entrées, carottes, betteraves avec des émincés d’endive crue… une marque de fabrique ?) n’a pas beaucoup d’intérêt, ni l’embeurrée de chou vert / carottes bien voire trop classique.

Le must chez Drouant a été pour moi les desserts… Un grand bravo à Jérémy Duda pour ces pâtisseries incomparables, légères, raffinées et si abouties : baba au vieux rhum, millefeuille à la vanille, tarte Tatin aux pommes et tarte au citron meringuée inoubliables… J’y retourne !

En conclusion, on reconnaît une certaine patte dans cette adresse, qui vaut bien le détour (la charmante place Gaillon est un havre de paix à deux pas de l’Opéra), malgré quelques petites fausses notes, dans les légumes notamment.


Drouant
18, rue Gaillon 75002 Paris
Tél. : (33) 01.42.65.15.16
Menu à 44 € au déjeuner, carte au dîner à 71 € (entrée, plat et dessert)
Pas de fermeture, et service particulier à partir de 22h30. 

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