Thé, café ou chocolat ?

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Jean-Siméon Chardin (1699-1779), La table d’office dit aussi Les débris d’un déjeuner, 1763 (?). Paris, Musée du Louvre, Département des peinture.

L’exposition « Thé, café ou chocolat ? » présentée actuellement et jusqu’au 27 septembre prochain au musée Cognacq-Jay à Paris est l’occasion de parler de cette aventure extraordinaire que fut la découverte de ces trois boissons exotiques en France sous l’Ancien Régime, leur diffusion à Paris et leur retentissement jusqu’à nos jours. Pour mieux appréhender ce vaste thème, nous avons interviewé en exclusivité Patrick Rambourg, historien des pratiques culinaires et alimentaires et conseiller scientifique de l’exposition.

« Je me suis rendu compte que le public ne connaissait pas l’histoire de ces boissons si populaires aujourd’hui. Même si de nombreuses expositions ont déjà eu lieu sur le sujet [NDLR : comme l’exposition actuelle proposée par la ville du Havre Café, coton, chocolat, 300 ans de négoce au Havre (22 novembre 2014 jusqu’au 8 novembre 2015), sur le thé au musée Guimet, Le thé : histoire d’une boisson millénaire (3 octobre 2012 au 7 janvier 2013) et plus récemment à la Maison de l’Artisanat et des Métiers d’Art de Marseille achevée le 27 mai dernier Le printemps des thés], le grand public ne sait souvent pas que ces trois boissons proviennent de trois continents différents, qu’elles sont arrivées en France à peu près au même moment et qu’il a fallu beaucoup de temps avant qu’elles ne s’intègrent dans les pratiques sociales, en particulier celles des élites. Cette nouvelle sociabilité des élites, qu’elles soient aristocratiques ou de la haute bourgeoisie, autour de ces boissons est visible à Paris, mais aussi dans d’autres villes européennes comme Vienne. Ces boissons amènent également de nouvelles cérémonies de table et contribuent à développer une nouvelle vaisselle de dégustation ».

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Marius-Pierre Le Mazurier (actif entre 1769 et 1775), Famille métisse, 1775. Paris, ministères des Outre-mer , Hôtel de Montmorin, dépôt du quai Branly.

« Accueillies dans la seconde moitié du XVIIe siècle et avec méfiance parfois, ce qui me semble capital est la rapidité avec laquelle ces nouvelles boissons ont été acceptées par les élites dès la fin du Grand siècle et surtout au XVIIIe siècle ». L’exposition sous titrée « Les boissons exotiques à Paris au XVIIIe siècle » présente en effet un certain nombre de textes de référence du règne de Louis XIV, car il semblait difficile de passer outre cette époque de découverte, notamment les témoignages de Madame de Sévigné. « On constate qu’il y a eu d’abord un phénomène de mode chez les élites, en Europe mais pas seulement, et que certaines boissons se sont diffusées plus rapidement que d’autres. Si elles arrivent en France à peu près au même moment, ces trois boissons ont quand même trois histoires différentes ». Comme toute nouveauté exotique, l’engouement engendré par ces boissons d’Outre-mer a son revers de la médaille… Les excès constituent l’autre face cachée de ces boissons considérées comme des liqueurs et la médecine s’emparera tout logiquement du sujet en condamnant les abus de consommation du thé, du café ou du chocolat. La littérature est grande sur le sujet. On ira même jusqu’à dire que ces boissons peuvent provoquer des problèmes de fertilité chez les hommes…

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Friedrich-Elias Meyer (1723-1785), Chinoise versant du chocolat avec deux enfants, vers 1750-1755, Porcelaine dure (Manufacture de Meissen). Paris, Musée Cognacq-Jay.

Thé en feuilles et chocolat en pâte

« Connu en Chine depuis des siècles, le thé, dont la préparation assez simple en infusion ressemble aux tisanes occidentales, va étrangement avoir beaucoup de difficulté à s’installer dans la société française. Il deviendra néanmoins au XVIIIe siècle l’un des moments importants de la sociabilité des élites : ce sera le «  thé à l’anglaise «  immortalisé par quelques peintures de l’époque ». La codification et la mise en place du «  rite «  du thé à l’anglaise ou Five o’clock tea tel qu’on le connaît aujourd’hui n’interviendra que beaucoup plus tard sous l’ère victorienne (1837-1901). Il aurait été mis à la mode dans les années 1840 par la duchesse de Bedford, une des proches de l’entourage de la reine. En Angleterre, les principaux repas étant constitués du petit-déjeuner et du dîner, il fallait bien trouver un en-cas qui permettait de tenir jusqu’au soir…

Quant au chocolat, très élitiste lui aussi, il sera beaucoup plus connu du grand public que le thé, d’abord sous forme de pâte de chocolat, mise à fondre dans de l’eau ou du lait avant d’être battu. Cette pâte contient à l’origine en France à la fin du siècle de Louis XIV un certain nombre d’épices, dont du poivre et du clou de girofle, mélange qui va avoir tendance au siècle suivant à se simplifier, la pâte ne chocolat ne contenant « plus » que du cacao, du sucre et de la cannelle.

« À l’inverse du café qui prend sa place au petit-déjeuner, il est dégusté au XVIIIe siècle pendant le goûter ou durant les collations. Le chocolat va en outre créer un débat au sein de l’Église. La question théologique qui va se poser est de savoir si cette boisson rompt ou pas le jeûne en temps de carême. La réponse sera simple : le chocolat à l’eau ne pose pas de problème à l’inverse du chocolat au lait ! ».

Autre particularité, pendant très longtemps, la cafetière et la chocolatière vont être confondues pour le service, même si les chocolatières ont été très tôt pourvues d’un orifice sur le couvercle afin d’y introduire un bâton, « moulinet » ou « moussoir », afin de battre et faire mousser la préparation.

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Jacques Chéreau (1688-1776) d’après Jean-François de Troy, Jeune fille prenant un café, vers 1730-1750. Estampe, Rennes, Musée des Beaux-Arts.

Café : une success-story indéniable

À l’inverse, le café s’est très vite popularisé et va se démocratiser très largement au XVIIIe siècle. En 1782, Le Grand d’Aussy, l’un des auteurs incontournables pour la période en matière d’us et coutumes de table affirme :« Point de maison bourgeoise où, à dîner, l’on ne vous présente du caffé. Point de fille de boutique, de cuisinière, de femme de chambre, qui, le matin, ne déjeune avec du caffé au lait » (Histoire de la vie privée des Français, t. III, p. 125).

« Il était plus facile de préparer ce mélange dans la rue que le chocolat. Il suffisait d’un peu d’eau chaude et de poudre de café pour faire un breuvage digne de ce nom. Le thé, le chocolat et le café deviendront peu à peu la boisson emblématique des «  cafés « , ces nouveaux lieux de dégustation très parisiens et si en vogue au Siècle des Lumières ».

Le premier à avoir compris à Paris que les élites souhaitaient un lieu propre et convenable dédié à sa dégustation fut Francesco Procopio dei Coltelli, un Italien qui servait aussi des glaces rue de l’ancienne Comédie (futur café Procope, encore en activité aujourd’hui). Étonnant ! Sur le menu d’un des premiers restaurants de la capitale, celui des Frères provençaux – une pièce très émouvante car daté de 1790, le café est cité dans le registre des « liqueurs fines » et des « entremets de douceur » (servis entre rôts et desserts) sous la forme de « petits pots de crème, café et chocolat ». Sur cette carte qui affiche ses prix (une nouveauté aussi), le café est la seule boisson exotique proposée. « L’on comprend ainsi mieux comment le café a tout de suite fait son entrée au restaurant, comme boisson chaude prise après le repas ».

Après tout ça, vous reprendriez bien une autre petite tasse avant de partir ?

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Pierre-Antoine Hannong (1739- vers 1794), Cabaret décoré des portraits en grisaille des membres de la famille royale, 1778-1779. Porcelaine dure (Manufacture dite du comte d’Artois) : au centre sur la cafetière Louis XVI et Marie-Antoinette.


Expo-the_cafe_chocLCAV3Exposition « Thé, café ou chocolat ? » / 27 mai – 27 septembre 2015

Musée Cognacq-Jay / 8, rue Elzévir / 75003 Paris

Ouverture : du mardi au dimanche de 10h à 18h, Entrée 7 €.

2 Responses to “Thé, café ou chocolat ?”

  1. À défaut d’y aller, Montréal-Paris c’est pas dans mes moyens d’ici septembre, je commande de ce pas le livre de l’exposition! Merci de l’info!

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