L’oreiller de la belle Aurore : un monument historique

Brillat-Savarin pensait souvent à son cher oreiller.

Monument de la gastronomie française tout droit venu du début du XIXe siècle, l’oreiller de la belle Aurore est vu par de nombreux gastronomes comme le saint Graal de la charcuterie. Une histoire entre légendes, passions et personnalités hors du commun qui se recrée à Lyon chaque 29 décembre à la maison Reynon…

Le « pâté en croûte » ne date pas d’hier et l’on trouve sa trace littéraire et sa recette pour la première fois dans un livre de chasse du XIVe siècle. Depuis cette lointaine époque, la grande famille des pâtés en croûte n’a cessé de se diversifier, désignant un pâté ou une galantine cuite dans un moule – généralement de forme rectangulaire, le moule rond étant réservé à la tourte – et dans une pâte. À l’origine, la croûte n’est pas consommée. Elle a pour vocation de rendre le pâté plus moelleux à la cuisson et de faciliter sa conservation. Au Moyen Âge, ce n’est pas le charcutier, mais bien le pâtissier qui la confectionne. Si l’ensemble des pays européens semble s’être mis à la fabrication du pâté en croûte, la France et plus précisément l’ancienne région Rhône-Alpes s’en sont fait une spécialité. Dégusté froid, le pâté en croûte par la variété et la disposition des viandes et farces qui le composent, par la subtilité et l’inventivité de son décor sur sa pâte est une sorte de monument de la gastronomie charcutière française, dont l’oreiller de la belle Aurore demeure le joyau.

Souvenir maternel

 

Né à Belley en 1755 dans la riche province du Bugey, Jean Anthelme Brillat-Savarin est surtout connu pour son chef-d’œuvre Physiologie du goût paru deux mois avant sa mort en 1825. Grand gastronome, quoique très critiqué en son temps par le grand chef Carême, c’est aussi un gourmand qui aime les plats roboratifs de son Bugey natal dans l’Ain actuel. Philosophe, musicien, juriste, homme politique, il a surtout laissé son nom à l’un des plus célèbres pâtés en croûte jamais réalisés : l’oreiller de la belle Aurore, baptisé en souvenir de sa mère Claudine-Aurore Récamier. La recette originale ne figure pas dans sa Physiologie du goût et il faudra attendre l’œuvre de son neveu, Lucien Tendret, né l’année de sa mort, pour connaître le secret de sa préparation. En 1892, cet avocat passionné comme son oncle par les choses de l’estomac fait ressurgir dans un livre truculent intitulé La table au pays de Brillat-Savarin les recettes de trois pâtés appréciés par Brillat-Savarin dont celle de l’oreiller de la belle Aurore. Quelques années plus tard en 1921, Curnonsky, le « prince des gastronomes », et Marcel Rouff, l’auteur de La Vie et la Passion de Dodin-Bouffant, gourmet publient la « vraie » recette de l’oreiller de la belle Aurore dans La France Gastronomique – Guide des merveilles culinaires et des bonnes auberges françaises – La Bresse – Le Bugey – Le Pays de Gex. Dans les années 1950, c’est le MOF Claudius Reynon de Lyon qui remet cette recette à l’honneur. Depuis, chaque année entre Noël et le jour de l’an, ses descendants Georges et Laurent Reynon mettent un point d’honneur à réaliser ce pâté gargantuesque. En 2016, pas moins de 36 oreillers de 32 kg chacun, totalisant presque une tonne, sont sortis de leurs laboratoires (voir photo ci-contre : 3 générations Reynon au grand complet, de gauche à droite, Rémi, Laurent et Georges Reynon à Lyon).

« Lorsqu’on coupe l’oreiller de la belle Aurore, le parfum des truffes noires mêlé au fumet des viandes embaume la salle à manger. »

Lucien Tendret

Un des trois pâtés de Belley

L’oreiller de la belle Aurore partage les honneurs du livre de Lucien Tendret avec deux autres pâtés en croûte : le « chapeau » de monseigneur Gabriel Cortois de Quincey, évêque de Belley, et « la toque » du président Adolphe Clerc, ayant la forme du bonnet dont les juges recouvraient leur tête. « Le 9 septembre de chaque année, raconte Lucien Tendret, jour de la foire du village, un dîner est offert dans l’antique salle à manger à tous les amis du maître, venus sans invitation. Brillat-Savarin semble présider le repas ; son buste est placé sur la tablette de la cheminée (…). À midi on se met à table, on boit du vin de Côte-Grêle, la vigne de M. Brillat-Savarin, et on mange le pâté traditionnel de forme carrée, appelé pour ce motif l’oreiller de la belle Aurore, la mère de M. Brillat-Savarin, Claudine-Aurore Récamier. » S’ensuit la véritable recette de ce pâté en croûte composé d’une quinzaine de viandes différentes dont de la caille, du pigeon, de la palombe, du perdreau, de la grouse, de dodues volailles de Bresse aujourd’hui AOC, du canard mulard, du colvert, du faisan, du lièvre, du lapin de garenne, du chevreuil, de la biche, du marcassin et des ris de veau, sans oublier diverses farces – une pour chaque viande selon la recette de la maison Reynon, foie gras, les réputées truffes noires du Tricastin et quelques pistaches… Mesurant environ 60 cm de côté, chaque oreiller de la belle Aurore pèse autour des 30 kg. Sa cuisson au four dure environ sept heures au four, des cheminées devant être ménagées pour éviter que le pâté n’éclate à la cuisson, et son refroidissement dure jusqu’à seize heures. Dans son livre « La table au pays de Brillat-Savarin », Lucien Tendret conclut la recette par cette constatation : « Lorsqu’on coupe l’oreiller de la belle Aurore, le parfum des truffes noires mêlé au fumet des viandes embaume la salle à manger ; les tranches tombant sous le couteau présentent l’aspect d’une mosaïque de couleurs vives et variées, et son imprégnées des sucs d’une gelée vineuse couleur d’or. La croûte, toute pénétrée d’un mélange onctueux de beurre frais et de foies de volailles, est tendre sous la dent et fondante dans la bouche. » Bon appétit !


Maison Reynon

13, rue des Archers

69002 Lyon

Tél. 04 78 37 39 08

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