Le nez dans les champignons !

Truffes-alba

Truffes blanches d’Alba (maison Pebeyre – Cahors)

Les odeurs des champignons sont très diverses et certaines d’entre elles si caractéristiques qu’elles ont même donné leur nom aux espèces facilement repérables par leurs terminaisons latines en -olens ou -osmus (« odorant »)…

 

La pratique de l’olfaction est plus que courante chez les mycologues, ces spécialistes du monde très spécifique des champignons. En plus des formes et des couleurs, elle permet souvent la détermination des champignons rencontrés au hasard des promenades botaniques et constitue un travail de la mémoire olfactive, de la connaissance et donc de la reconnaissance.

L’odorat est un de nos systèmes sensoriels le plus ancien, le plus primitif sans doute, et aussi le plus mal connu. C’est aussi celui dont la connexion entre le système olfactif et le cerveau est la plus courte. Il suffit souvent d’une seule odeur pour ranimer un souvenir ancien que l’on croyait perdu, mais quand on sait que le nombre d’odeurs ou de senteurs serait estimé à près de 10 000 et que le nombre de composés chimiques possédant une odeur serait de 400 000, cela laisse bien rêveur…

Molécules fongiques
Dans le domaine de la détermination des molécules ou assemblages de molécules odorantes des champignons, la chimie a fait de nombreux progrès ces dernières années. Le « champignol » (oct-1-én-3-ol) et l’octan-3-one ont ainsi été reconnus comme responsables de l’odeur « fongique », l’odeur basique « de champignon » du champignon de Paris par exemple. Parmi les champignons les plus remarquables du point de vue de la flagrance, celle d’anis du clitocybe odorant (Clitocybe odora) est une surprise pour celui ou celle qui ne l’a jamais senti, celle d’amande amère apparaît dans le gyrophragmium de Dunal (Gyrophragmium dunalii), celle de fenugrec est bien présente dans le lactaire à odeur de chicorée (Lactarius helvus), l’ail dans le bien nommé marasme à odeur d’ail (Marasmius alliaceus) provient de molécules soufrées. L’odeur particulière de la truffe noire (Tuber melanosporum), un « arôme rustique en même temps que subtil, puissant, intense à la fois frais et chaud avec des flagrances d’herbes fraîches, coupées ou sèches, de tabac humide, de feuilles de chêne en décomposition, de racines, d’humus, de terre humide, de terreau, de musc, de cuir, de fourrure de renard ou de charcuterie légèrement fumée » (François Delaroière, in La truffe, Secrets & plaisirs, janvier 2001, p. 14) est un vrai poème que nous nous proposerons de développer dans un autre article…


Les mots pour le dire
Le dessin et la photographie restent de peu d’utilité pour les questions d’odeurs et un appareil  « odorograpique » reste à inventer… Dans le domaine, les mots sont encore le meilleur moyen pour transcrire sur le terrain les signaux organoleptiques lors de la rencontre d’un champignon. Oui, mais quels mots ? L’odeur fait référence à un bagage culturel qui nous est très intime : il n’y a pas de norme et l’odorat reste étroitement lié à la vie instinctuelle et affective de chaque individu. Tel mycologue verra des flagrances fruitées, d’autres des relents de « Bounty » ou de « gâteau congolais fraîchement sorti du four », ou pour une autre espèce « le gant de toilette mouillé, oublié pendant deux semaines dans une valise fermée » (dixit !).

Les girolles ont une odeur d’abricot.

En fait, la plupart des champignons dégage en général une odeur complexe, résultat de plusieurs notes odorantes agglomérées : selon un degré d’intensité croissante, elle rappelle l’humus humide ou la farine avec des relents de musc et d’ambre. Elle est plus marquée chez les jeunes sujets et tend à s’altérer à l’âge adulte. Elle n’est perceptible parfois que lorsque les champignons commencent à se dessécher voire à pourrir (phénomène d’oxydation). C’est le cas de la russule à odeur de miel (Russula mellionens). La russule feuille-morte (Russula xerampelina) ne donne sa puissante odeur de crevette qu’à la cuisson et la russule jolie (Russula lepida) embaume sur le feu. Les parfums peuvent même varier après la dessiccation, comme pour le lactaire poivré (Lactarius piperatus), le clavaire en massue (Clavariadelphus pistillaris) permet d’ailleurs sans peine de préparer un « ersatz » de poivre consommable tout à fait convainquant. Séché, le fameux clitocybe odorant déjà cité constitue un aromate anisé très original à réserver sur sa table aux connaisseurs…



J’ai listé ci-dessous certaines correspondances d’odeurs et de champignons (voir liste plus exaustive ici). Des balades en perspective cet automne, le nez à la chasse aux bonnes odeurs !

Bien entendu, tous ne sont pas comestibles… cela va de soi !

Fruits et fleurs
Abricot : Girolle / russule caméléon (Russula risigallina)
Amandes amères : Russules / Hygrophore à odeur agréable (Hygrophorus agathosmus)
Citron : Lactaire à odeur de citron (Lactarius citriolens)
Mandarine : Lactaire couleur saumon (Latarius salmonicolor)
Mirabelle : Chanterelle cendrée (Cantharellus cinereus)
Noisette : Cèpe de Bordeaux (Boletus edulis) / Coulemelle (Macrolepiota procera)
Noix de coco : Lactaire à odeur de noix de coco (Lactarius glyciosmus)
Orange : Pholiote changeante (Pholiota mutabilis (jeune))
Poire : Inocybe à odeur de poire (Inocybe piriodora) / Cortinaire à odeur de poire (Cortinarius traganus)
Pommes (compote de) : Lactaires et russules (dont la russule de fiel (Russula fellea))
Fleur d’oranger : certains hébélomes
Jasmin : certains inocybes
Pélargonium : Lactaire trompeur (Lactarius decipiens)

Légumes, épices et herbes
Ail : Marasme à odeur d’ail (Marasmius alliaceus)
Carotte : Lactaire de l’épicéa (Lactarius deterrimus)
Chou : Marasme à odeur de choux (Micromphale brassicolens)
Fenouil : Hydne à odeur suave (Hydnum suaveolens)
Persil : Cortinaire verdâtre (Cortinarius venetus)
Pomme de terre crue coupée : Amanite citrine (Amanita citrina)
Rave : Mycène pure (Mycena pura) / Hébélome croûte de pain (Hebeloma crustuliniforme) / Amanite citrine (Amanita citrina)
Rhubarbe : Cortinaire à odeur de rhubarbe (Cortinarius rheubarbarinus)
Safran : Russule émétique (Russula emetica)

Du fromage au dessert…
Fromage : Cortinaire camphré (Cortinarius camphoratus)
Camembert : Russule à odeur de topinambour (Russula amoenolens)
Farine : Meunier (Clitopilus prunulus) / Mousserons de printemps, tricholomes et divers entolomes
Anis : Clitocybe odorant (Clitocybe odora) / Agaric bulbeux (Agaricus essettei) / Agaric des jachères (Agaricus arvensis)
Caramel, miel, pain d’épices : Hébélome à odeur sucrée (Hebeloma sacchariolens) / Russule à odeur de miel (Russula mellionens) (vieux)
Réglisse : Lactaire à odeur suave (Lactarius glyciosmus) / Lactaire camphré (Lactarius camphoratus)

Pour en savoir plus…

  • J.-P. SACHS, Odeurs fongiques, Bulletin de la Société Mycologique de France, t. CVII, 1991, pp. 146-149.
  • M. LOCQUIN, J. LENOIR, Le nez des champignons, éditions Jean Lenoir, 1986 (86 échantillons d’odeurs fongiques).
  • G. CLAUS, Des odeurs en mycologie !, Documents mycologiques 8 (30-31), 1978, pp. 31-63.
  • J. MORNAND, P. TAILLANDIER, Guide pratique des odeurs de champignons, Société Sciences Lettres Arts de Cholet, sans date.

     

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