La Vieille prend un coup de jeune

Il n’y a pas que la politique qui se dépoussière en ce moment ! Il y a comme un air de renouveau des adresses historiques à Paris et c’est bon signe. Certains chefs dont Alain Ducasse et bien d’autres l’ont compris depuis longtemps. Une recherche des sources et des origines ? Il faut juste avoir du coffre et beaucoup de talent pour reprendre une institution comme celle-là ainsi que le disait si justement à son ouverture le chef François Simon.

Largement oublié, le petit troquet d’Adrienne Biasin « Chez La Vieille » où amis et intimes de Lino (Ventura), Michel (Serrault), Stéphane (Collaro), Michou, Jean-Pierre (Coffe), mais aussi les chefs Raymond Oliver ou Michel Guérard, aimaient à se retrouver renaît enfin de ses cendres. Après le tout juste voisin établissement de la rue Bailleul  Spring ouvert en 2006, lequel l’a clairement révélé, La Bourse et la Vie en 2015 que nous avions chroniqué ici, son Coucou de New York ouvert il y a presque un an tout juste, le chef américain Daniel Rose (devenu entre-temps un vrai Titi parisien), a investi les lieux depuis déjà six mois. Dans une sorte de no man’s land gastronomique propre au centre parisien en pleine recomposition – en omettant le tout proche Yam’tcha d’Évelyne Grattard -, le pari de l’ « homme qui voit tout en rose » était somme toute risqué.

Adrienne à gauche d’après une photo exposée à  » Chez la Vieille « .

Adrienne ne jouait pas que du piano

Le quartier des Halles à quelques pas n’est plus que l’ombre de ce qu’il était lorsque Adrienne Biasin, une sorte de « mère » lyonnaise ou de cordon bleu à la parisienne, mâtinée de sauce italienne parmesane, avait créé en 1958 son petit « capharnaüm » (dixit Adrienne) dans le ventre du Paris encore zolien et à contre-courant de la nouvelle cuisine alors montante… Née en 1921, intemporelle, la « vieille »  Adrienne l’était déjà à l’âge de 23 ans d’après un sobriquet qu’un client habitué lui avait alors collé. Elle savait à la fois charmer ses amis ou expulser sans préavis les convives indélicats, encore un peu à la manière du seul troquet des Halles encore en place dans son jus, j’ai nommé Chez Denise

Du caractère, il en fallait à l’époque pour tenir de main de maître cet espace restreint à une vingtaine de couverts au rez-de-chaussée, devenu aujourd’hui un bar convivial où l’on peut déjeuner ou dîner sur le zinc. À la fin des années 1980, très sollicitée par la presse et la TV, elle devient la marraine de l’émission hebdomadaire culinaire de mon comparse du jury de la 5A François Roboth « Quand c’est bon, il n’y a pas meilleur » (voir la vidéo ci-dessous). Décédée en 2010, Adrienne a pendant près de trente ans jusqu’en 1996 distillé une cuisine bourgeoise du siècle précédent, à contre-courant de la « nouvelle cuisine » aux accents diététiques avant l’heure. Depuis, l’adresse a périclité malgré les tentatives de quelques ténors de la bistronomie comme Christian Millet, mais rien n’y a fait, jusqu’à l’arrivée de Daniel Rose…

La salle du rez-de-chaussée avec son zinc et sa hotte d’origine permet d’accéder à l’étage.

Un salon si particulier

En entrant la première fois chez La Vieille, je ne m’attendais pas avoir cette impression de cabinet ou de salon particulier mis à la disposition de la clientèle comme dans les grandes maisons bourgeoises parisiennes du XIXe siècle. Même si elle a gardé son étonnante hotte de cheminée autrefois garnie de belles bouteilles et de liqueurs, la salle autrefois bondée d’Adrienne au rez-de-chaussée est devenue depuis un zinc où il fait bon casser la croûte. Les affaires se passent à l’étage et il est bien étonnant de se faire accompagner par un serveur au premier en empruntant comme un convive invité un bel escalier d’immeuble, en passant devant la minuscule cuisine à droite. Une volée de marches plus haut, l’on vous pousse une porte bien secrète pour pénétrer dans le saint des saints, une salle de seulement 19 couverts à l’atmosphère bien particulière. Dans un style rétro Art déco aux couleurs d’un autre temps, vous vous asseyez confortablement sur une banquette sous d’anciennes photographies en noir et blanc des Halles sentant bon la nostalgie d’un quartier qui fut longtemps la Terre promise des gastronomes comme Grimod de La Reynière, un habitué des lieux. Pas étonnant que les Américains adorent ce parfum venu d’un autre temps, un peu kitsch peut-être, mais qui colle avec l’histoire d’une femme et d’un lieu exceptionnel à Paris. Sans oublier la douloureuse au final qui n’en a que le nom, car la générosité des assiettes équivaut largement à celle des prix, sans parler d’une carte des vins juste au poil…

La salle secrète et bien cachée de l’étage. Parfait pour un dîner en amoureux…

Des classiques indémodables

Pour commencer, voici une bien gourmande Terrine de canard façon Adrienne : avec ses marquants gras comme les bonnes mortadelles, peu de foie et une belle cuisson moelleuse, la portion généreuse a de quoi enthousiasmer les amateurs. Le bien classique confit d’oignons est complété par une très agréable quenelle de betteraves crues / raifort bien relevée et de cornichons « maison » (et dont la recette originale est dévoilée dans la vidéo ci-dessus en fin d’émission). Simple, efficace et de bon goût.

Cuits à point et rosés comme on les aime, les Rognons de veau sont d’une simplicité enfantine juste accompagnés d’une tombée d’épinards à peine revenus et d’une superbe fraîcheur. Seul le produit est mis en valeur dans une belle authenticité.

Parce que l’on est gourmand,  nous n’avons pas pu résister à une recette historique de la vieille Adrienne… Le Bouillon de volaille d’Adrienne est un voyage bien nostalgique et bien revigorant. Le bouillon de volaille corsé à souhait est relevé d’une huile de persil selon la technique de Guy Savoy déjà évoquée dans le Cœur au ventre  ici (facile à réaliser et très flatteur dans les bouillons, veloutés ou potages !). En lui-même le bouillon est agrémenté d’un œuf coulant, de spätzle (pâtes alsaciennes traditionnelles) et de belles tranches de petit salé rôti… Un plat plus qu’une entrée comme il se doit ! L’on pourra aussi essayer le Boudin basque aux pommes, le Foie gras / lentilles, les Joues de bœuf à la Bourguignonne ou le Demi coquelet à la Diable. Que du bon et du bien généreux à la vue des assiettes voisines.

 

Un petit bémol pour les desserts peut-être, mais à peine ? On retrouve avec joie de belles propositions de la gourmandise d’antan. Le Riz au lait aux pralines, accompagné d’une quenelle de mousse au caramel,  est présenté sobrement en verrine façon bistrot. Un peu trop sucré d’après moi, mais tellement esthétique. Encore une touche bien féminine signée d’Adrienne… ou de Daniel Rose étant donné la couleur ?


Chez la Vieille

1, rue Bailleul

75001 Paris Tél. : (33) 1 42 60 15 78

Ouvert midi et soir du mardi au samedi de 12h30 à minuit (dernier service à 22h30). Service à la carte entre 27 et 32 €. Réservation conseillée ouverte à partir de 12h30 pou le déjeuner et de 19h30 pour le dîner.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.