La leçon de piano de Philippe Mille

Philippe Mille aime la sauce soja et cette dernière le lui rend bien. Invité tout récemment au restaurant gastronomique du Parc aux Crayères à Reims, j’ai eu la chance de goûter un menu « tout soja » et de voir officier ce jeune chef en cuisine pour un petit cours bien singulier.

Les menus composés autour d’un seul produit ne sont pas toujours du meilleur goût… Cela fait partie des passages obligés de nombreux chefs souhaitant mettre en valeur des produits locaux souvent chers (la truffe noir du sud-est et le caviar d’Aquitaine parmi les poncifs du genre) ou de grandes marques de l’industrie agroalimentaire. C’est parfois réussi, mais souvent décevant… D’où ma surprise devant les trésors d’ingéniosité de Philippe Mille au cours de cette dégustation tout simplement exceptionnelle, mis à part deux ou trois petites fausses notes…

Cela fait maintenant quelques années qu’ils s’y sont mis : Thierry Marx d’abord, le baroudeur impitoyable, toujours armé en cuisine ou sur les plateaux de tournage de ses légendaires baguettes chinoises, et maintenant le jeune Philippe Mille, récompensé cette année de 2** au Michelin. C’est à croire que la petite sauce, véritable « or noir » pour des millions d’Asiatiques, fait des miracles aussi chez nous ! Invité par la marque japonaise Kikkoman©, leader mondial incontesté sur le marché avec ses 400 millions de litres de sauce soja sortant par an de ses usines, nous avons pu profiter sous un franc et beau soleil d’été d’une cuisine à la fois classique (Philippe Mille est après tout Meilleur Ouvrier de France !) et inventive, véritable concentré de goût et de saveur.

Girolles au vin jaune, Sot l’y laisse de volaille et oignons caramélisés à la sauce soja.

 Après un amuse-bouche composé d’un Foie gras, gelée de ratafia, cerises et amandes effilées, nous entrons dans le vif du sujet. En entrée, les Girolles cuisinées au vin jaune, Sot l’y laisse de volaille et oignons caramélisés à la sauce soja, fines tranches de jambon des « Ardennes » sont un peu trop salées à mon goût et la sauce soja trop présente, le vin jaune apportant en revanche des parfums de sous-bois et de barrique très agréables en bouche. 

Blanc de cabillaud en écrin de champignons.

 Le Blanc de cabillaud en écrin de champignons (morilles et girolles séchées), endive farcie cuisinée à la sauce wok Sukiyaki, jus de rôti au beurre noisette est topissime, la cuisson du poisson nacré à souhait parfaite (lire les explications techniques données plus loin) ! Dommage pour le choix des produits pas franchement de saison (endives) tout comme les girolles de l’entrée un peu en avance sur leur temps. Dans les viandes, nous atteignons le sommet avec la Poitrine de pigeon laquée Teriyaki, asperges blanches de la Champagne (cuisson exemplaire), mini pommes soufflées et jus de cuisson lié à la purée de dattes… La petite quenelle de foie gras sur toast grillé s’avale comme un sorbet au mois d’août ! Diablement bon et bien pensé, tout comme la liaison à la purée de datte qui s’accorde parfaitement avec le pigeon laqué, rôti au grill et rosé à cœur. 

Poitrine de pigeon laquée Teriyaki.
Roulés de pommes au caramel de pomme et sauce soja sucrée.

Même si, là encore, la pomme n’est pas un fruit typique de juin… le dessert se laisse regarder comme un petit chef-d’œuvre : les Roulés de pommes au caramel de pomme et sauce soja sucrée, transparence de sucre bullé et fraîcheur de pomme acidulée remporte un franc succès auprès des convives. Le caramel de pomme et sauce soja (voir recette ci-après) surprend au premier abord par son côté salé-sucré, mais est une vraie trouvaille digne des plus grands.

Le secret du caramel aux pommes… c’est ci-dessous !

Une fois n’est pas coutume, après la table, la cuisine ! Col tricolore vissé autour du cou, à seulement 35 ans, Philippe Mille, un ancien de chez Grondard (restaurant Drouant), d’Anton (Pré Catelan), de Roth (Lasserre), – tous des MOF comme lui !, d’Alléno pendant 7 ans (Le Meurice) est un pédagogue au geste sûr, un homme de l’art discret. On découvre l’envers du décor en le voyant, seul dans ses grandes cuisines des Crayères où plane l’ombre de ses illustres prédécesseurs Gérard Boyer, Alain Passard et Frédéric Anton, vérifier à la sonde juste posée sur la lèvre inférieure la juste cuisson de son cabillaud, expliquer la texture particulière du poisson parce qu’il suffit de faire tremper le filet dans une eau salée pour raffermir et maintenir les chairs, rouler avec plaisir ce filet réservé préalablement quelques heures au froid dans un mélange de champignons séchés avant de le faire doucement et très rapidement revenir au beurre… 

La chaleur au piano est intenable, mais Philippe Mille reste de marbre, répond doucement sans broncher aux mille questions de ses interlocuteurs… Facile, le caramel de pomme au dessert ! Il suffit de faire roussir son sucre, d’ajouter de la crème fraîche liquide, quelques gouttes de sauce soja sucrée, un peu de jus de pomme et de saupoudrer un peu de pectine pour que ce dernier ait de la tenue sur l’assiette… Quant aux fines lasagnes de pomme confite, et ces petits rouleaux de pomme tels d’élégants makis sucrés, l’emploi de la « dérouleuse » s’impose et le chef n’hésite pas un instant à nous montrer la technique…

Après les salutations d’usage, je quitte enfin l’ancienne demeure champenoise de Louise Pommery les yeux encore tout émerveillés de ce cours de piano si… particulier.

 




Domaine Les Crayères
Philippe Mille
64, boulevard Henry Vasnier
51100 Reims
Tél. : (33) 3.26.24.90.00
Fermeture les lundi et mardi

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