La bonne étoile de Yoshinori Morié

Arrivé en France en 2007, le chef japonais Yoshinori Morié signe depuis un an et demi de son propre nom des assiettes dénuées de faux-semblants et de chichis dans l’étroite et bien modeste rue Grégoire-de-Tours dans le 6e arrondissement. Voilà bien une cuisine à la fois brute et remplie aussi d’une rare sensibilité, comme savent l’imaginer seulement quelques rares maîtres queux de la capitale.

« Je suis originaire de la préfecture d’Ehime sur l’île de Shikoku, en face d’Hiroshima, une région montagneuse et maritime riche de plus de 300 variétés différentes d’agrumes. Après avoir suivi un cursus à l’école Tsuji d’Osaka, j’ai d’abord travaillé à Tokyo pendant cinq ans auprès d’un chef qui avait fait partie de la brigade de L’Ambroisie de Bernard Pacaud et aussi de la maison Rostang. Après mon arrivée en France, j’ai enchaîné des stages à Pauillac et en Corse, en Bourgogne, avant d’affronter la capitale ».

Après dix années d’expériences à Paris, au Hide dans le 17e, puis Le Petit Verdot dans le 6e, Encore dans le 9e ou l’Auberge du 15 dans le 13e aujourd’hui définitivement fermée, Yoshi décide de passer en solitaire aux commandes de son propre restaurant à la rentrée 2017. La récompense ne tarde pas à venir : en seulement un an et demi d’existence la première étoile vient d’être décrochée en ce début d’année dans le nouveau guide rouge. « L’étoile est une bonne chose, mais demande une organisation différente qui n’est pas toujours évidente. Je bénéficie d’une belle clientèle d’habitués qui mes suit depuis de longues années. Cela est une force pour moi ». Soulignons ici l’effort remarquable du chef et de son acolyte chef de salle Olivier Marchand pour proposer une large gamme de prix en particulier à l’heure du déjeuner, ce qui est plutôt rare pour les restaurants étoilés de la capitale : de 35 € (entrée-plat ou plat-dessert) à 95 € (menu dégustation prestige). Cela vaut la peine d’être souligné. Pour les mordus de la privatisation, une cave douillette de pierre typique du coin est aussi prévue avec un beau bar en vis-à-vis.

Maigre de Saint-Jean-de-Luz contraste bleu et rouge, condiment bergamote et cédrat. Une assiette bien étonnante. Le maigre, ce poisson si extraordinaire, pêché  en Atlantique, est ici servi cru ou presque,  légèrement salé et mariné aux algues (laitue de mer entre autres) avant d’être séché, puis passé au chalumeau sur la peau pour une sorte de cru-cuit profond. L’accord avec un assortiment de trévises amène une amertume qui répond au croustillant fumé de la peau du poisson.

Tartare de veau de lait, coques d’Utah-Beach, chou-fleur, noisettes du Piémont : un classique de la maison à la carte depuis l’origine servi sur une très belle assiette de porcelaine japonaise bleue d’Arita. Voilà une belle assiette signature toute en légèreté et égayée par quelques fleurs de bourrache et d’une feuille d’huître, mariant du même coup la mer et la terre. L’émulsion de noisette et de chou-fleur apporte le liant à l’ensemble d’une grande fraîcheur en bouche.

Plus classique, voici le gourmand Ris de veau rissolé, asperge verte (les premières que j’ai mangées cette année), carotte et cardamome noire. Je dois dire ici combien ce dernier accord entre la carotte et la cardamome est réussi. Une trouvaille que je compte bien reproduire bientôt et vous faire partager.

Merlu de Saint-Jean-de-Luz (encore !), asperge blanche, émulsion à l’huile fumée. Une cuisson parfaite du poisson, avec quelques chanterelles et feuilles de mouron des oiseaux. Une présentation ciselée comme on les aime tant.

Et voilà le gâteau et la cerise dessus ! Vraiment des desserts à couper le souffle d’une très grande finesse et gourmandise absolues. Mousse coco, sorbet ananas et pamplemousse poivre du Timut (en fait, un faux poivre originaire du Népal). Je n’ai pas réussi à connaître le nom des petites fleurs orangées. Des alliances exotiques classiques coco-ananas réveillées par la petite sauce de pamplemousse au poivre. Du peps et beaucoup de suavité en bouche.

Chocolat noir Taïnori, graines de sarrasin et glace à la reine des prés. Le chocolat est moelleux et à peine cuit d’une douceur et d’une profondeur en bouche qui laisse pantois. Je suis resté en revanche un peu sceptique sur la glace à la reine des prés qui manquait de goût et pour cause. Celle-ci se récolte entre juin et juillet au bord des cours d’eau. Alors ? Mais l’idée du chocolat et de la reine des prés est belle et doit être retentée chez soi dans son petit laboratoire… Assurément.


Yoshinori

18, rue Grégoire de Tours

75006 Paris

Tél. : (33) 9 84 19 76 05

Menus au déjeuner entre 35 € (entrée-plat ou plat-dessert) et 95 € (menu dégustation prestige). Au dîner, entre 70 et 150 €.

 

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