Bière : la révolution de l’ombre

Cela fait presque trente ans qu’Élisabeth Pierre a eu sa première émotion avec ce breuvage aussi ancien que le monde ou presque ! Après un parcours dans le marketing agroalimentaire, elle incorpore le monde de la brasserie française pour promouvoir ce produit aujourd’hui en pleine expansion. Spécialiste des accords mets et bières, auteur à succès, elle crée en 2016 sa propre marque Bierissima et intervient régulièrement comme experte bièrologue ou « zythologue » selon l’expression consacrée. « Le homemade brassicole se développe énormément en France. Depuis les quatre dernières années s’opère une petite révolution et les gens n’hésitent plus aujourd’hui à brasser chez eux. C’est un signe de l’intérêt du public pour le produit. Le deuxième phénomène est un changement des habitudes de dégustation. Il est beaucoup plus facile maintenant d’amener les amateurs à déguster d’autres bières artisanales du fait d’une expansion incroyable de l’offre. »

Elisabeth Pierre (à droite) lors du dernier salon Planète bière 2018.

Selon Philippe Jugé, coorganisateur du salon Planète Bière dont la 4e édition s’est achevée le 26 mars dernier totalisant pas moins de 5000 visiteurs dont près de la moitié de femmes, « la France est aujourd’hui à la pointe et ses petites brasseries sont régulièrement primées dans les concours. Elle n’a plus aucun complexe d’infériorité par rapport aux grands pays voisins de tradition brassicole que sont l’Angleterre, l’Écosse, l’Irlande, la Belgique ou l’Allemagne. La bière plaît en France et touche une population plus jeune car elle est moins une affaire de spécialistes que le monde du vin. Elle touche donc plus de monde ».

Jacques Ferté, cofondateur de la bière parisienne Gallia en 2014.

L’envol des brasseries indépendantes

Philippe Jugé

L’activité brassicole en France, mais aussi dans le reste de l’Europe, a toujours existé mais a connu un fantastique renouveau. Pour Philippe Jugé, « quoiqu’en pleine effervescence avec un renouveau des brasseries indépendantes, le secteur n’est pas encore très structuré en terme de distribution. Le foisonnement des marques fait également que le style des bières, très perceptible il y a encore dix ans, est en train de disparaître, rendant parfois confus l’offre et complique les choix ». Aujourd’hui, si 96 % du marché est détenu par les grands groupes brassicoles, seulement 4 % du volume est fourni par les petites brasseries indépendantes, regroupant environ 1 200 établissements rien qu’en France, leur chiffre étant multiplié par deux en seulement trois ans… ! Parmi ces derniers, très peu sont encore distribuées à l’échelle nationale et beaucoup privilégient aujourd’hui la vente en direct, renouvelant régulièrement leurs gammes. « Le conseil que l’on peut donner aux consommateurs est de jouer la carte locavore afin de se rapprocher des brasseries les plus proches, même s’ils ne doivent pas faire l’impasse sur des marques plus globales ou nationales comme les brasseries du Mont-Blanc , des Cimes, Saint-Germain, Météor ou Mélusine en Vendée pour ne citer que les plus dynamiques » fait remarquer Philippe Jugé. Selon la zythologue Élisabeth Pierre, « le dynamisme est général dans l’ensemble de l’Europe et même dans le reste du monde, mais contrairement à d’autres pays la «  culture bière «  reste sans doute encore à créer en France auprès du public et des professionnels. Globalement, la jeune génération des trentenaires est plutôt demandeuse de bières artisanales, alors que les plus anciennes générations restent fidèles à des marques ».

Le grand tournant

Aujourd’hui, les brasseurs essayent de proposer deux gammes : une ligne traditionnelle de bières en haute ou basse fermentation et une autre plus innovante. Les bières aromatiques ou plus élaborées, parfois élevées en anciennes barriques – comme le propose par exemple l’enseigne du Nord-Pas-de-Calais « Page 24 » qui dispose d’un chais de plus de 50 barriques – sont très recherchées en ce moment. Ici, ce sont les anciennes barriques en bois de vin rouge ou blanc, whisky, bourbon ou cognac qui les parfument agréablement et leur donnent ce goût unique et original si recherché. Outre cette grande tendance qui a commencé il y a environ deux à trois ans, la fraîcheur et l’amertume des bières houblonnées est aussi particulièrement recherchée. Dans cette catégorie rentrent les « IPA » ou « Indian Pale Ale » très houblonnées et peu alcoolisées, créées à l’origine pour les armées britanniques stationnées en Inde. « Aujourd’hui, chaque brasserie se doit d’avoir une IPA dans sa gamme » précise Philippe Jugé. « Phénomène américain et anglo-saxon au sens large, les bières peu alcoolisées ont particulièrement le vent en poupe, alors que les bières plus chargées en alcool et plus sucrées comme les bières belges ont tendance a être moins consommées ». « La Petite Princesse », une bière de table du nord de la France, réalisée par la brasserie Thiriez, ou « Poids plume » de la brasserie parisienne Bapbap ne titre qu’entre 2 et 3 % maximum. Longtemps oubliée, la « bière de table » – appellation française pour les bières peu alcoolisées titrées entre 2,5 et 4 % – et les bières dites « de partage » renaissent curieusement de leurs cendres… Moins sucrée, moins alcoolisée, jouant sur l’amertume et les notes aromatiques, la bière se réinvente aujourd’hui devenant le compagnon idéal au moment de l’apéritif et autour d’une bonne table… Juste entre amis connoisseurs ?

 


Carnet d’adresses

Planète bière

Prochain rendez-vous à Paris les 24 et 25 mars 2019.

Cette année, le trophée « La capsule d’or », une distinction votée par les visiteurs du salon, a été remporté par la bière allemande Weihenstephan Vitus – catégorie « bière d’apéritif » et la bière écossaise Innis & Gunn The Original – catégorie « bière de dégustation » (voir photo ci-dessus).

 

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